Philippe Denis a réuni dans ce petit livre les Inventions que lui a inspirées sa longue fréquentation des poètes japonais, lus en anglais, dans l’anthologie de haïkus publiée en 1949-1952 aux États-Unis par Reginald Horace Blyth.
Philippe Denis, Inventions. Suivi de Notes sur des pivoines. Le Bruit du temps, 88 p., 11 €
« Ces textes qui sont à l’origine des haïkus de Matsuo Bachô, de Yosa Buson, de Kobaiashi Issa, et pour les Notes sur des pivoines de Masaoka Shiki, ont été réinventés par le poète » écrit Philippe Denis, avec l’art singulier de qui sait s’emparer, dans la clarté, dans la concision, de ce qui fonde à la fois l’évanescent, le bref, l’ineffable, et l’instant poreux qui culmine au-dessus des frondaisons, décrivant la simplicité comme le raffinement des moments quelconques de l’existence, accordés humblement à la vie. Ni transposition. Ni imitation.
« L’enfant qui imite le cormoran plonge avec plus de souplesse que le cormoran. » Au versant de la sensation quotidienne se lit l’instantané, voire l’étrangeté, de ce saut : qu’est-ce qui se rapproche, se lie, se rassemble comme à l’infini, pourtant disposé à disparaître, à s’effacer ?
Soit, ce sont de timides « cinq mesures de riz de l’an passé » qui accueillent le printemps. Soit, elles se jouent subtilement du temps, de la durée, dispensant « une saison pour celui qui reste, une pour celui qui s’en va, l’automne en partage ».
Tout se passe comme si, en un exercice risqué de la parole, subtile, essentiellement aride et ténue, quelques mots cherchaient à « circonscrire la sphère », à en creuser délicatement la profondeur, ou à en décrire obliquement la gravité sensible, fût-ce avec légèreté, avec humour, car c’est la vie qui frémit, ici. La poésie de Philippe Denis semble s’affranchir des mots, quelques syllabes vibrantes empruntent à l’orientalisme du haïku une voie inédite. Elle s’immerge dans une langue inconnue, qu’elle ne prétend ni traduire ni déchiffrer. Elle offre à la densité de la pensée le parcours d’un regard aigu, âpre et précis : ainsi, l’économie de moyens – quelques notes jetées sur la page – donne-t-elle à voir une extrême acuité frémissante, l’immédiateté fragile du souffle, voire la suavité des pivoines écloses, sorte de journal d’un « haïku élégiaque ».
Comme dessinés, gravés à même la pierre, ces poèmes – « plantations de riz : un long rectangle pour un haïku, un carré pour un lavis » – tracent des signes. De ceux qui ouvrent le monde, et l’empêchent d’être un artefact.
Le cheminement, proche et lointain, de Philippe Denis avec la poésie japonaise, un lien tissé tacitement depuis longtemps, au rythme des élans, nourrit des pensées vagabondes, comme arrachées à l’évidence, à l’indicible : de ces instants, fugitivement rapprochés d’une intimité silencieuse, où la fleur au bord du sentier et la clarté entrevue derrière le nuage offrent un précieux viatique, pas seulement « une nuit d’insomnie ».