Termes choisis : écrire sur l’avortement

Le sujet de l’avortement est de nouveau dans l’actualité avec la décision de la Cour suprême des États-Unis de revenir sur la jurisprudence adoptée il y a près de cinquante ans (Roe vs. Wade). Peu de temps auparavant, a paru le témoignage de Pauline Harmange sur l’avortement en France, s’inscrivant dans une série de publications sur le sujet, y compris l’anthologie composée par la femme de lettres américaine Annie Finch.


Pauline Harmange, Avortée. Une histoire intime de l’IVG. Éditions Daronnes, 96 p., 12 €

Annie Finch (dir.), Choice Words. Haymarket, 420 p., 19,95 $


Pauline Harmange raconte son avortement, le pourquoi, le comment et les raisons qui l’ont poussée à écrire, mais sa perspective est plus large. Elle a le mérite de tenter un état des lieux des représentations de l’avortement, à l’écrit mais aussi dans des films et des séries. Cette « histoire intime » lui permet de conjuguer perspective politique (plus qu’historique) et expérience sur les terrains ô combien personnels de la sexualité et de la douleur. Elle dit mesurer sa chance de pouvoir avoir avorté, en comparant non seulement avec d’autres époques ou d’autres pays, mais aussi avec d’autres lieux en France où l’accompagnement médical de l’IVG, l’accès à cette procédure, sont plus difficiles que là où elle vivait au moment où cela s’est passé. Elle évoque la situation préoccupante des États-Unis, et la décision, actée en juin 2022, de revenir sur l’arrêt Roe vs. Wade montre qu’il y avait effectivement de quoi s’inquiéter. Ce qui ne veut pas dire qu’il ne faut pas rester vigilant dans les autres pays, au contraire.

Pauline Harmange parle honte, deuil, guérison, livrant son expérience en détail (contraception défaillante, déroulement de la procédure), tendant la main aux autres avortées. Comme en témoigne sa bibliographie sélective, la parole des femmes avortées se libère davantage depuis l’an 2000.

Pauline Harmange, Annie Finch : écrire sur l'avortement

À la Marche des femmes de Los Angeles (20 janvier 2017) © CC2.0/Larissa Puro & USC Institute for Global Health

Ajoutons-y le recueil Choice Words (non traduit en français) : Annie Finch a mis vingt ans à rassembler essais, témoignages, poèmes et extraits de romans sur le sujet de l’avortement, écrits essentiellement mais non exclusivement par des femmes hétérosexuelles. Par des anonymes et par des écrivains (Margaret Atwood, Annie Ernaux, Ursula K. Le Guin, Audre Lorde, Amy Tan, Langston Hughes, Mo Yan…). Il y a beaucoup de voix américaines (dans toute leur diversité) et il y a des voix du monde entier, de Pologne, de Chine, du Pakistan, d’Afrique du Sud, entre autres, preuve s’il en fallait du caractère à la fois universel et singulier de l’avortement.

Il concerne des femmes de tous âges, de tous milieux, de toutes croyances. Certaines n’ont pas d’enfant, d’autres en ont déjà. « Presque toutes les sortes d’avortement imaginables sont représentées dans ce livre. Des avortements légaux comme illégaux, sûrs comme dangereux, voire fatals, des avortements malgré ce que souhaitent les autres, des avortements à la demande – sous la pression – des autres », comme l’indique Katha Pollitt dans l’avant-propos. Des avortements faute de contraception, des avortements liés à des viols, des avortements pour raisons médicales. Des avortements contre la volonté de la femme enceinte, dans des contextes politiques qui souhaitent limiter les naissances (politique de l’enfant unique en Chine) ou quand on sait que l’enfant à naitre est une fille et non le garçon souhaité (en Inde, par exemple). La volonté de contrôler la fertilité des femmes n’est pas réservée à certains hommes politiques conservateurs américains.

Annie Finch a souhaité mettre à disposition gratuitement dans des centres de planning familial aux États-Unis ce livre riche d’enseignements et reflétant les nombreuses facettes de l’avortement. « À travers nos propres expériences de l’avortement, nous en somme venues à rejeter la dichotomie des politiques liées à l’avortement qui demanderait aux femmes de choisir entre deux croyances : la grossesse est un miracle, la vie du fœtus est sacrée, si bien que l’avortement, c’est mal ; ou bien la grossesse n’est qu’un évènement physique, le fœtus n’est qu’un amas de cellules, si bien que l’avortement, c’est insignifiant », écrivent Minerva Earthschild et Vibra Willow en introduction au rituel de guérison après l’avortement cité dans la partie de l’anthologie consacrée aux relations entre avortement et spiritualité. Un bon résumé des contradictions dans lesquelles se débattent les femmes concernées, alors que nombre de décideurs politiques campent sur leurs positions.

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