Le plouf du bord carrelé

Le Guide sentimental des piscines municipales de Paris est un livre utile, charmant, avec ce qu’il faut d’humour et de culture pour séduire ceux qui aiment les bassins comme ceux qui les détestent. Pour l’établir, Jacques Damade et Isabelle Louviot se sont donné la tâche de faire, ensemble ou séparément, la visite (aquatique) des 41 piscines municipales de Paris.

Jacques Damade et Isabelle Louviot | Guide sentimental des piscines municipales de Paris. La Bibliothèque, 224 p., 22 €

Pareille visite avait déjà été entreprise sur un tout autre mode, par Colombe et Marine Schneck (Paris à la nage, Allary, 2022). Mais, hormis un goût partagé pour la natation (et encore… car il y a mode et mode de fréquenter les bassins), l’ouvrage de nos deux nageurs n’a rien de commun avec son « prédécesseur » et répond à d’autres intentions : celle de l’exploration urbaine en amateur et celle d’une approche mi-raisonnée, mi-rêveuse, aux légers accents de fausse naïveté, d’une expérience qui, tout individuelle qu’elle soit, est aussi le produit d’une histoire culturelle et sociale. C’est donc en aquaphiles munis d’un bon brevet de savoir-penser et savoir-sentir, et de leur matériel de natation, que Jacques Damade et Isabelle Louviot franchissent les portes des piscines municipales pour offrir un guide « sentimental » arrondissement par arrondissement (seuls trois d’entre eux, les IIe, IIIe et VIIe, n’en possèdent aucune).

Mais le « sentimental » n’empêchant pas l’esprit de classification, chaque évocation de piscine est précédée d’un petit encadré précisant adresse, numéro de téléphone, longueur et profondeur du bassin, spécificité, point P… Ce dernier, parfois réalité indiscutable (un toit-verrière, la vue sur la Seine…), peut aussi susciter la perplexité. Ainsi, le point P. d’une des piscines du XIIIe serait « l’humour des maîtres-nageurs » ; ces derniers, flattés à la lecture du livre, discutent encore pour déterminer qui se trouvait de service le jour de la visite des auteurs du guide et mérite donc ce compliment. 

Jacques Damade et Isabelle Louviot, Le guide sentimental des piscines municipales de Paris
Piscine Ledru-Rollin. Démonstration de natation scolaire (1927) © Source gallica.bnf.fr/BnF

Chaque encadré est suivi d’un essai individuel mêlant informations objectives (les particularités du lieu en matière d’équipement, de public, d’histoire, d’architecture) et considérations dictées par l’humeur et les circonstances. Le temps qu’il faisait, l’impression première, une anecdote personnelle, quelques vers d’un poème… Cette subjectivité fine et assumée est un instrument idéal qui contribue à rendre attrayant un tour des bassins par ailleurs agrémenté de photos, d’illustrations et de réflexions sur des sujets aussi divers que « La Seine, piscine avant la piscine », « Le pédiluve », « Le maître-nageur », « L’empire des lignes ». De quoi faire partager à chacun l’amour du chlore et la gratitude pour des édiles subventionnant des installations qui, selon la Cour des comptes, pour être à l’équilibre budgétaire, devraient facturer leur droit d’entrée 11 €, alors que le ticket « plein tarif » est aujourd’hui à 3,50 €, ou 2 €, ou même gratuit pour certaines catégories de baigneurs.

Qui ne les remercierait en effet, ces généreux édiles ? Eh bien ceux qui ont horreur de l’eau ou des bassins mais à qui, avec un malicieux esprit de compréhension, le livre rend hommage dans une « Ode aux Piscinophobes » finale. Car hourra pour « ceux qui n’aiment pas le chlore / qui n’aiment pas leurs corps : n’aiment pas se montrer quasi nus / à des inconnus », et tous ceux « qui détestent l’eau partout », qu’elle soit de mer, de lac ou de rivière ! Hip, hip, hip, hourra ! Car ils laissent aux passionnés, déjà si nombreux dans leurs 41 lieux parisiens de prédilection, les joies que procurent « le plouf du bord carrelé / la longue brasse coulée / le crawl endiablé / le papillon de géant / et la paix hébétée / du banc après le bain ».