Le premier Breton

En février 1924, les éditions Gallimard publient dans leur nouvelle collection « Les Documents bleus », sous le titre Les pas perdus, un recueil de vingt-quatre articles d’André Breton écrits entre 1917 (« Guillaume Apollinaire ») et 1923 (« La confession dédaigneuse »).

André Breton, Les pas perdus

« La gare Montparnasse », par Giorgio De Chirico (1914)

Ils avaient précédemment été publiés, en revue – surtout dans Littérature, dirigée par Aragon, Breton et Soupault – et pour des expositions (Chirico, Max Ernst et Picabia). C’est la première fois qu’un livre de Breton est publié par un grand éditeur. Sur la recommandation de Paul Valéry, Gaston Gallimard n’avait pas hésité, en 1920, à confier à ce jeune poète confidentiel de vingt-quatre ans quelques travaux alimentaires, comme la correction des épreuves d’À la recherche du temps perdu. Surtout, il lui avait ouvert les portes de la Nouvelle Revue française pour des études sur Les chants de Maldoror, Pour Dada et Gaspard de la nuit, qui trouveront leur place dans Les pas perdus. Les jeunes perturbateurs « dadaïstes » ne lui font pas peur : il a déjà pris Aragon sous contrat (en 1921, pour Anicet) et accepté de devenir le dépositaire de Littérature puis de Clair de terre, recueil de poèmes et de récits de rêves publié à compte d’auteur par Breton. Gaston Gallimard restera l’un des principaux éditeurs des surréalistes.

Les pas perdus… Breton rêve de ce beau titre depuis longtemps. Ses futurs recueils, Point du jour, en 1934, et La clé des champs, en 1953, résonneront eux aussi comme des « appels d’air ».

André Breton, Les pas perdus

J’aime ces articles écrits ces années-là, dans la fièvre et l’exaltation de l’invention du surréalisme, réunis comme une rampe de lancement huit mois avant la publication du Manifeste, dix mois avant le premier numéro de La Révolution surréaliste. Leur lecture, quand j’avais vingt ans, est de celles qui m’ont à jamais marqué. Ce sont eux qui m’ont ordonné de lire Jarry, Lautréamont, Gaspard de la nuit, Robert Desnos et Rrose Sélavy, de regarder Max Ernst, Picabia et Duchamp. J’aime l’absolue nouveauté des « Mots sans ride » et les paroles surgies des sommeils d’« Entrée des médiums », « La confession dédaigneuse » avec Jacques Vaché, celui par qui « tout était bravé », sur qui s’ouvre inoubliablement ce livre, et l’appel de « Lâchez tout » :

« Lâchez tout.
Lâchez Dada.
Lâchez votre femme, lâchez votre maîtresse. Lâchez vos espérances et vos craintes. Semez vos enfants au coin d’un bois. Lâchez la proie pour l’ombre.
Lâchez au besoin une vie aisée, ce qu’on vous donne pour une situation d’avenir.
Partez sur les routes. »

Et c’est là que me rattrape, sans que je l’aie vue venir, la conclusion du Rivage des Syrtes : « et je savais pourquoi désormais le décor était planté ».


André Breton, Les pas perdus. Gallimard, coll. « L’Imaginaire » (n° 243), 196 p., 8,50 €

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