Ce que la guerre fait aux enfants

Lié à une exposition présentée à La Contemporaine de Nanterre cette année, le livre collectif dirigé par Manon Pignot et Anne Tournieroux, Enfants en guerre, guerre à l’enfance ?, tente d’embrasser le sujet universel de l’enfance confrontée aux dangers de la guerre, à ses traumatismes et ses dévoiements, en embrassant le long XXe siècle et en abordant des contextes et des thématiques multiples.

Manon Pignot et Anne Tournieroux (dir.) | Enfants en guerre, guerre à l’enfance ? De 1914 à nos jours. La Contemporaine/Anamosa, 232 p., 32 €

Très illustré, le livre va de l’endoctrinement des enfants sous le nazisme, durant la guerre entre l’Iran et l’Irak (1980-1988) ou au sein de l’éphémère État islamique, à leurs conditions de vie au cours des deux guerres mondiales, de la guerre d’Algérie ou sous la dictature argentine où le vol d’enfants était courant voire encouragé par le régime, et jusqu’aux traumatismes juvéniles liés aux génocides arménien, de la Shoah ou du Rwanda. Les autrices s’interrogent sur leur objet, invitent à penser la notion d’enfance dans la perspective de leur étude à partir du moment où les enfants s’expriment, notamment par le dessin. Elles relèvent que l’expérience de la guerre peut commencer in utero pour des générations d’enfants portant le souvenir de leur père mort, comme elles observent que c’est avant tout dans leur famille, dans leur maison, dans leur univers, que les enfants vivent les guerres et en éprouvent les bouleversements.

À ce titre, les sources utilisées associent la production des adultes pour mobiliser les enfants comme les formes d’expression enfantines, qu’il s’agisse des journaux intimes, des correspondances ou des dessins comme forme alternative. La tragédie guerrière vécue par les enfants prend toute sa force sous la plume et/ou dans les dessins des plus jeunes, ce qui, comme le souligne l’introduction, « éclaire sous un autre jour les sociétés et leurs réactions, et redonne aux décisions politiques leur sens fondamental », tant les enfants s’avèrent la cible privilégiée des génocides.

Manon Pignot et Anne Tournieroux, Enfants en guerre. Guerre à l’enfance ? De 1914 à nos jours,
Exercice de masque à gaz dans une école de Londres, Thérèse Bonney (1940-1943) © Coll. La Contemporaine/University of California, Berkeley

D’une manière ou d’une autre, il y a une sur-représentation de la guerre dans le quotidien des enfants, que ce soit par l’effet qu’ont sur ces  jeunes témoins les parents blessés ou amputés – lesquels, d’ailleurs, peuvent être poussés dans leurs fauteuils roulants par de jeunes enfants –, mais aussi plus généralement par la présence du deuil. Cependant, « passé l’excitation ou l’angoisse des débuts, les sources enfantines dévoilent une forme d’habituation de la guerre », les alertes et les pénuries font peu à peu partie de l’ordinaire au point que certains enfants semblent « oublier la guerre », même si le souvenir des privations liées aux pénuries, notamment alimentaires, demeure bien présent.

Mais globalement, et concernant la Seconde Guerre mondiale, ce constat relativise « les discours tenus dans l’espace public d’après-guerre par les acteurs de l’humanitaire qui s’alarment d’une éventuelle génération perdue ». Sur le front occidental, et à la différence de l’Est, zone des pires exactions et de la politique d’extermination nazie, l’atténuation des traumatismes infantiles est sans doute liée à l’éloignement des enfants des lieux de combats d’où ils étaient le plus souvent préventivement évacués. Cinquante ans plus tard, le génocide rwandais résonne de façon glaçante avec les justifications nazies de l’extermination juive, lorsque les mêmes appels aux pogroms surgissent, désignant les petits tutsis comme des « cafards » ou des « œufs de serpent », autant d’ennemis fantasmés comme de futurs combattants qu’il faut écraser.

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D’autres ont connu d’autres formes d’exil comme dans l‘Algérie de l’automne 1956 où 150 000 enfants des zones frontalières fuient, seuls ou accompagnés, la répression de l’armée française. La question du genre n’est pas absente non plus de ces pages qui montrent que le discours de guerre inclut des injonctions genrées demandant aux filles, qui ne peuvent (et ne doivent) pas aspirer au statut de guerrier, des efforts supplémentaires.

Faut-il le préciser en conclusion ? En dépit de la grande diversité des guerres, des individus, des situations et des sources, ces pages nous instruisent sur l’expérience de la guerre faite par la communauté des enfants. Et si la réalité historique rend impossible une pensée de l’universalité de l’enfance dans la guerre, ce livre nous rappelle ou nous invite à penser, selon la formule de Manon Pignot, que, malgré tout, « la vérité de la guerre sort de la plume des enfants ».