Petites aventures immobilières 

Vendre un appartement, en acheter un, c’est bien compliqué ! Surtout à Paris. Plus encore si l’on s’appelle Noël Herpe ou, en tout cas, si l’on est le personnage quelque peu velléitaire qui porte ce nom dans le bref et amusant récit Je déménage. 

Noël Herpe | Je déménage. Seuil, 160 p., 18 €

Au début du livre, le héros met en vente l’appartement-boutique parisien où il habite, devenu invivable à cause de l’humidité, du bruit et des vieux souvenirs qu’il contient, et se lance à la recherche d’un « lieu idéal […] où rien ne s’interposerait entre [lui] et l’objet insaisissable de [ses] pensées ». La comédie immobilière se déroule ensuite sur une centaine de pages et en cinq mouvements, Presto, Lento, Vivace, Largo, Coda, avec les personnages que le sujet suppose : acheteurs, vendeurs, agents immobiliers, donneurs de conseils appartenant au cercle amical et familial.

Ainsi, dans « Presto », Herpe vend son bien en moins de deux, bonne surprise, mais avant d’avoir trouvé le logis de ses rêves. Dans les trois mouvements suivants, poursuivi par ses acheteurs qu’il fait lanterner pour retarder la signature de la vente, il tente fiévreusement de dénicher où transporter ses pénates. Le voici consultant les annonces, et enchaînant les visites de loci le plus souvent peu amènes. Enfin, après maintes péripéties et tergiversations, il trouve quelque chose rue Saint-Paul et doit alors vider son appartement. Mais pour prendre possession de son nouveau havre, il doit attendre un temps dans un studio maternel, la juste loi des transactions immobilières le faisant ex-propriétaire d’un bien mais pas encore propriétaire du nouveau. Dans « Coda », il n’a pas encore emménagé.

Noël Herpe, Je déménage
Vitrine d’une agence immobilière © CC BY-SA 4.0/Jacob Ljørring/WikiCommons

Au fil de sa quête, riche en rencontres cocasses, en évitements de fâcheux, en œillades aux passants et en visions de logis piteux, le héros doit se confronter, outre à la difficulté d’une entreprise qui le précipite dans un milieu de tromperie et d’arnaque, à quelques rudes réalités le concernant. Quel rôle « la maison » joue-t-elle pour lui ? Ne remplacerait-elle pas une vie affective passablement en panne ? S’affairer à chercher un locus amoenus qui n’existe que dans ses rêves ne lui servirait-il pas à éviter de penser à ce qu’il a fait de sa vie et souhaite faire de ce qu’il en reste ? Que cache le plaisir de la temporalité suspendue dans lequel le plonge sa recherche d’un lieu idéal ? Questions mélancoliques, mais évoquées de manière amusée. Car, avec Je déménage, nous sommes dans la comédie : tempo rapide, réorganisation irréelle du réel, situations farcesques, dépréciation woodyallennienne de soi et d’autrui…

La distanciation légère, le rythme des événements, le ballet des acteurs et l’allant du personnage ne se grippent que vers la fin. Mais avant, notre vendeur-acheteur aura joliment fait son travail d’anti-héros : snob, narcissique, de mauvaise foi, grincheux, pingre, masochiste, peu ragoutant, velléitaire…

Et de cette dernière qualité, il est assurément bien pourvu : « Je ne suis pas homme à passer à l’acte, à prendre des décisions »confie-t-il. « J’avance un œil ou un pied en territoire étranger en espérant que la réalité va s’imposer à ma place. » Aucune nuance de l’indécision ne lui semble en effet étrangère ! Hésiter, tergiverser, osciller, rechigner, vaciller, chanceler… n’ont pas de secret pour lui. La comédie de l’irrésolution vient ainsi se combiner à celle des aventures immobilières, traçant l’acide petite parabole d’un esprit subjectif et inquiet en pleine action contre l’ordre établi de la réalité.  Petite parabole qui pourrait se poursuivre avec, par exemple, un J’emménage aussi plaisant et splénétique que ce Je déménage.