Mémoire poétique de Guy Goffette

Comment rendre hommage à un poète tel que Guy Goffette qui vient de mourir ? En parlant de lui, de son chapeau légendaire, de sa présence, en racontant des souvenirs ou des anecdotes ? En attendant Nadeau a fait le choix de le relire, tout simplement. Nous avons demandé à des poètes de choisir dans l’œuvre de Guy Goffette un poème. Comme autant d’éclats qui donnent à entendre une poésie intuitive d’une grande beauté, voici les choix de Marie Étienne, Jean-Pierre Lemaire, Anne Lorho, Gérard Noiret et André Velter.


Marie Étienne choisit cet extrait de Mariana, Portugaise (Le temps qu’il fait, 1991 ; Gallimard, 2014) :

La dalle glacée de sa cellule. Ce grand corps blanc de femme, écartelé à même le sol, près des vêtements en désordre, comme arrachés. Ce corps prêt à l’estrapade ou qui en revient. Cette nudité de la chair sur la dalle noire et glacée. Plus qu’offerte : étale. Plus que vive : ouverte. En croix sur le carreau, l’amant enfui (la croisée est au large). La bouche collée à la pierre. Ce baiser à la mort qui roucoule dans la rosée. 

Guy Goffette © Jean-Luc Bertini
Guy Goffette © Jean-Luc Bertini

Jean-Pierre Lemaire choisit cet extrait de La vie promise (Gallimard, 1991) :

Je me disais aussi : vivre est autre chose

que cet oubli du temps qui passe et des ravages

de l’amour, et de l’usure – ce que nous faisons

du matin à la nuit : fendre la mer,

fendre le ciel, la terre, tour à tour oiseau,

poisson, taupe, enfin : jouant à brasser l’air,

l’eau, les fruits, la poussière ; agissant comme,

brûlant pour, allant vers, récitant

quoi ? Le ver dans la pomme, le vent dans les blés

puisque tout retombe toujours, puisque tout

recommence et rien n’est jamais pareil

à ce qui fut, ni pire ni meilleur,

qui ne cesse de répéter : vivre est autre chose


Anne Lorho choisit cet extrait de Petits riens pour jours absolus (Gallimard, 2016) :

rien encore, rien, sinon le forsythia pour tenir

le jour enflammé au beau milieu de la cour

cuvant les pluies et les ombres de mars

comme un ivrogne

entre les quatre murs de sa détresse, rien d’autre,

contre la grisaille et le froid, que l’exaltation

de l’amour au bord du gouffre : ce bouquet

d’abeilles en fleurs

dans le vent, rien de plus chaud entre les tempes

pour défroisser dans mes doigts engourdis

la lettre obscure du silence, y déposer

le pollen des mots

réchappés du vieil hiver et de la boue des songes


Gérard Noiret choisit cet extrait de Éloge pour une cuisine de province (Champ Vallon, 1988) :

« JALOUSIE »

Il lui arrive de plus en plus souvent la nuit

de descendre dans la cuisine

où fument en silence sous la lune

les statues que le jour relègue parmi les meubles

les habits, sous l’amas des choses

rapportées du dehors et vouées à l’oubli.

Il n’allume pas mais s’assied dans sa lumière

comme un habitué au milieu des filles

et leur parle d’une voix triste et douce

de sa femme qui se donne là-haut, dans sa propre chambre

à de grands cavaliers invisibles et muets

– Et c’est moi qui garde leurs chevaux, dit-il

en montrant l’épais crin enroulé

            à son annulaire.


André Velter choisit cet extrait de La vie promise (Gallimard, 1991) :

Si j’ai cherché – ai-je rien fait d’autre ? –

ce fut comme on descend une rue en pente

ou parce que tout à coup les oiseaux

ne chantaient plus. Ce trou dans l’air,

entre les arbres, mon souffle ni mes yeux

ne l’ont comblé – et je criais souvent

au milieu des herbes, mais je n’attendais

rien, je me disais : voilà,

je suis au monde, le ciel est bleu, nuages

les nuages et qu’importe le cri sourd des pommes

sur la terre dure : la beauté, c’est que tout

va disparaître et que, le sachant,

tout n’en continue pas moins de flâner.