Blanc comme linge

Hors série Blanc En attendant NadeauSous la forme d’un abécédaire, Sophie Ehrsam explore l’univers des tissus, du linge, des vêtements blancs. De l’exploitation du coton à la robe portée par Kamala Harris lors de son investiture en passant par la semaine du blanc ou les tenues de prisonniers, elle dresse un panorama érudit et sensible.

A comme athlète

Le choix de la tenue est important en sport ; dans certains cas, il s’agit de porter les couleurs de son équipe, dans d’autres, la liberté de mouvement prime. Plusieurs sports se pratiquent en blanc : le cricket, l’escrime, le tennis et des sports de combat comme le judo et le karaté. Souvenir d’une époque où la pratique sportive (et l’entretien coûteux d’un linge immaculé) était réservée aux classes aisées ?

B comme blanc

Pourquoi parle-t-on du blanc pour désigner le linge ? La teinte claire des tissus non teints ou artificiellement blanchis a longtemps dominé le textile, surtout pour le linge de maison et les vêtements de travail.

Le « mois du blanc » des grandes enseignes serait né au XIXe siècle, par un mois de janvier neigeux, imaginé par Boucicaut, le fondateur du Bon Marché. Une autre explication voit dans le choix du blanc une référence monarchique, Louis XVI ayant été guillotiné en janvier, les mains liées par un mouchoir blanc (il aurait refusé l’utilisation d’une corde).

C comme coton

Batiste, gaze, percale, popeline, satin : le coton, tissé plus ou moins serré, est devenu l’étoffe reine du linge. Du mouchoir à la compresse en passant par le drap et la chemise, le coton nous entoure littéralement. Cette « laine d’arbre » (comme on dit en allemand) a une couleur claire, proche du blanc.

La culture du coton existe depuis des millénaires en Inde et la roue qui figure sur le drapeau de ce pays provient du rouet utilisé pour filer le coton, symbole de la résistance à l’impérialisme britannique.

Aux États-Unis (qui restent l’un des grands pays producteurs), la culture du coton est liée à l’esclavage. Les vêtements de travail des esclaves étaient souvent clairs, mais faits d’une toile épaisse importée à bas prix de Grande-Bretagne et non de coton, cette précieuse marchandise.

Blanc comme linge : la couleur du vêtement de A à Z

Annonce publicitaire dessinée par Henry Thiriet (1898) © CC0 Paris Musées/Musée Carnavalet

D comme dentelle

La dentelle, traditionnellement en lin ou en coton, généralement blanche, parfois noire, ornait les cols et les poignets des plus riches à la Renaissance, âge d’or des dentellières (comme celle du tableau de Vermeer).

Aujourd’hui, sa fabrication est mécanique, mais son prestige ne se dément pas. Kate Middleton portait de la dentelle de Caudry à son mariage (voir la rubrique « noces »).

E comme exploration

La volonté de connaître tous les endroits de la planète a poussé l’homme à se pourvoir de textiles appropriés. L’archéologie a montré que les Vikings étaient non seulement des constructeurs de bateaux hors pair, mais des experts en voilure : la laine riche en lanoline des moutons d’Europe du Nord, traitée et tissée, a contribué à leur permettre une excellente navigation, y compris sur de longues distances. Les grandes traversées entreprises par les Européens au sortir du Moyen Âge n’auraient pu se faire sans des quantités de voiles, faites de chanvre puis de coton.

Les premiers aviateurs ont adopté l’écharpe de soie blanche pour se protéger le cou, accessoire qui pouvait aussi servir de chiffon en cas de problème technique.

Pour l’alpinisme comme pour la plongée, il a fallu imaginer des tenues adaptées, isolantes et résistantes, à l’aide de nouveaux matériaux et de tissus synthétiques. Défi suprême : la combinaison d’astronaute, qui doit protéger celui ou celle qui la porte tout en permettant une grande liberté de mouvement. La NASA a fait appel aux ouvrières Playtex, habituées aux gaines, pour l’assemblage de la tenue. La combinaison spatiale est généralement blanche, une couleur qui réfléchit les rayons et donne une bonne visibilité.

F comme funèbre

Le blanc est la couleur du linceul, des bandelettes des momies ; il habille les veuves indiennes et les samouraïs pendant le rituel seppuku.

G comme gant

Les gants peuvent être un accessoire ou un équipement de travail, il en existe de toutes sortes, depuis les gants en cuir de chevreau jusqu’aux gants en caoutchouc. Il est des sports qui ne peuvent se pratiquer sans gants.

Les gants beurre frais étaient d’usage pour les hommes au moment de faire leur demande en mariage.

Les gants blancs ont longtemps couvert les mains des ecclésiastiques, mais les domestiques en ont aussi porté. Ils restent de mise pour manipuler certains objets délicats (pièces de musée, livres anciens) ou faire des tours de magie.

H comme Harris (Kamala)

Lors de son investiture, la vice-présidente des États-Unis était vêtue de blanc. Cela n’avait rien de fortuit dans ce pays où la couleur est associée aux suffragettes. Hillary Clinton avait fait le même choix quand elle fut nommée candidate démocrate à l’élection présidentielle. Les parlementaires démocrates de sexe féminin en ont fait leur couleur de ralliement lors des discours sur l’état de l’Union pendant la présidence Trump, en signe de mobilisation pour l’égalité hommes-femmes.

I comme industrie

La fabrication textile est l’un des domaines qui a vu naître la mécanisation avec la généralisation des métiers à tisser, prouesse technique dont on ne mesure pas toujours les prolongements (le métier à tisser est un lointain ancêtre de l’ordinateur). C’est aussi un des domaines où l’exploitation du travail humain est le plus criante (voir la rubrique « prisonnier »), des enfants employés dans les filatures anglaises au XIXe siècle aux travailleurs ouïghours dans le Xinjiang en passant par les ouvrières du Rana Plaza au Bangladesh.

J comme jeans

L’un des vêtements les plus emblématiques du XXe siècle est le jeans, dont le nom vient du bleu « de Gênes » ; le tissu, souvent appelé denim, tire quant à lui son étymologie du sergé de Nîmes. Taillé dans un coton épais, à l’origine robuste vêtement de travail, le jeans a envahi le monde entier. On le voit sur les podiums des défilés de haute couture aussi bien que dans la rue. Les techniques de blanchiment pour obtenir un effet « délavé » ne cessent d’évoluer et incluent désormais le laser.

K comme Ku Klux Klan

Les adeptes de la tristement célèbre secte du Ku Klux Klan s’habillent en blanc pour persécuter des Noirs. Sans commentaire.

L comme lin

Le lin est vraisemblablement la plus ancienne fibre textile produite par l’homme, si l’on en croit les récentes découvertes archéologiques en Géorgie. On sait qu’il fut largement utilisé par les Égyptiens de l’Antiquité pour envelopper les vivants et les morts (voir la rubrique « funèbre ») et jusqu’aux objets enterrés avec les défunts.

Il demeure très utilisé pour l’habillement comme pour le linge de maison.

M comme médecine

Le blanc est associé à la propreté et à l’hygiène, inséparable des blouses portées par les chimistes et les professions médicales. Le tissu est indispensable à la confection des bandages, compresses et pansements. Pendant le confinement qui a marqué le début de l’épidémie de COVID-19 en France, en signe de soutien au corps médical, il a été proposé de mettre un linge blanc à sa fenêtre plutôt que d’applaudir les soignants.

N comme noces

Le mariage est lié au tissu ; les mariés portent leurs plus beaux vêtements le jour de la cérémonie et la mariée avait traditionnellement un trousseau pour son ménage, sans parler du drap où couchent les époux.

C’est la reine Victoria qui a popularisé l’image de la mariée en robe ivoire en Occident, où les coloris clairs dominent encore aujourd’hui les vitrines de robes de mariée.

O comme organdi

« Il faut une robe d’organdi », dit la marraine de Cendrillon avant d’apprêter celle-ci pour le bal dans le film de Walt Disney. L’organdi (qui rime avec sucre candi) est une mousseline de coton qui évoque les robes de princesse, les vêtements de petite fille, tout un imaginaire vaporeux de contes de fées. Il était possible de se déguiser en princesse avec les jupons blancs des trousseaux de grand-mère. Aujourd’hui, le rose a pris le dessus, talonné par le bleu de la Reine des Neiges.

P comme prisonnier

La tenue de bagnard est elle aussi très codifiée : l’image de l’habit de prisonnier est celle d’un habit rayé blanc et noir. Aux États-Unis, certaines prisons qui l’avaient abandonné au profit de l’uniforme orange (rendu célèbre par les images de Guantanamo et la série Orange is the New Black) sont revenues en arrière.

Les prisonniers ont parfois été employés de force à la confection de tissus synthétiques comme la rayonne, exposés sans protection à des produits chimiques très nocifs. Ce fut le cas d’Agnès Humbert, résistante française pendant la Seconde Guerre mondiale. De nos jours, il existe des entreprises et des organisations qui emploient des détenus pour la production textile.

Les prisonniers et prisonnières manient parfois l’aiguille pour d’autres raisons. Jan Ruff-O’Herne, femme de réconfort pour l’armée japonaise à Java pendant la Seconde Guerre mondiale, a conservé pendant des décennies un mouchoir blanc signé par ses compagnes d’infortune dont elle broda les noms à côté du sien pour qu’ils ne s’effacent pas.

Blanc comme linge : la couleur du vêtement de A à Z

Deux détenues « femmes de corvées » étendant du linge dans une cellule à la prison Saint-Lazare, maison d’arrêt pour femmes à Paris (entre 1929 et 1931) © CC0 Paris Musées/Musée Carnavalet

Q comme Quant (Mary)

Mary Quant est une créatrice de mode britannique à qui l’on attribue la création de la mini-jupe dans le Swinging London des années 1960. Elle a contribué à une plus grande liberté de mouvement en popularisant aussi le short pour les femmes. Le couturier français André Courrèges n’était pas en reste avec ses courtes robes blanches.

R comme religion

Les cérémonies religieuses et les représentants des religions ont un code vestimentaire ; les ordres monastiques n’arborent pas tous les mêmes couleurs. Les vêtements de baptême, de communion, de mariage, de pèlerinage, sont des tenues spécifiques. Le blanc domine.

S comme soie

La soie est un produit de luxe, fruit d’un long travail. La maîtrise de cette technique existe de très longue date en Asie et la soie s’exporte depuis l’Antiquité suivant la ou plutôt les routes de la soie. La soie non teinte a une couleur claire appelée grège.

Dans les territoires qui forment aujourd’hui la Chine, la soie a longtemps servi de monnaie d’échange, y compris pour maintenir des relations pacifiques avec les Mongols ; certains pensaient même que les habits et tentures de soie contribueraient à « amollir » ce peuple réputé férocement guerrier. Une opinion partagée par des auteurs de la Rome antique tels que Pline l’Ancien et Horace : la soie est décadente.

T comme tweed

Le tweed est une étoffe de laine tissée en chevrons très utilisée dans les îles Britanniques, mais il est aussi indissociable du tailleur Chanel, par exemple.

Plus largement, la laine constitue (avec le lin, le coton et la soie) l’un des quatre éléments du linge, c’est-à-dire une matière fondamentale. La toison provient d’animaux et peut être filée ou feutrée. Sans teinture, la couleur de la laine peut aller de l’écru à l’anthracite.

U comme uniforme

De nombreuses professions exigent le port d’un uniforme. Les marins sont les seuls militaires à porter des uniformes blancs. Les professions médicales portent une blouse, généralement blanche. Dans les métiers de bouche, on porte beaucoup le blanc : boulangers, bouchers, cuisiniers. N’oublions pas les apiculteurs – le blanc aurait un effet apaisant sur les abeilles.

V comme voile

Le voile apparenté au rideau est translucide et souvent blanc.

Le voile qui couvre la tête est généralement associé aux femmes, pour des raisons religieuses ou pratiques. Dans la religion chrétienne, cette coiffe a pu prendre des formes diverses comme la cornette ou la guimpe, généralement blanches. Sous la forme d’un fichu, il est porté par les ouvrières agricoles et industrielles comme l’iconique Rosie la riveteuse.

En Argentine, pendant la dictature, les Madres de Plaza de Mayo portaient sur la tête des foulards blancs évoquant les langes des bébés pour protester contre la disparition de leurs enfants.

Pensons aussi aux voiles blanches que Thésée, selon le mythe, oublia de mettre au mât en revenant de Crète pour signifier sa réussite et sa survie, plongeant son père, Égée, dans un irrémédiable chagrin.

W comme wax

Le wax est un tissu de coton né au XIXe siècle, ciré à l’origine (la cire se dit « wax » en anglais), aujourd’hui enduit avec d’autres substances. Un tissu inspiré par les batiks que les tirailleurs ashantis (de l’actuel Ghana) découvrirent en allant se battre en Indonésie aux côtés des Néerlandais.

Les motifs très variés et la richesse des coloris ont contribué à faire du wax une étoffe prisée par les créateurs et les célébrités du monde entier. Loin de l’atemporelle chemise blanche.

X

Le x, petite croix qui marque les tissus, broderie au point de croix, comme dans les abécédaires et autres ouvrages de dames.

Y comme Ypres

Ypres fut au Moyen Âge une cité drapière importante, pendant l’âge d’or du drap de laine.

La ville est surtout connue pour avoir été le lieu de grandes batailles pendant la Première Guerre mondiale. Il ne resta que des ruines des Halles aux draps, grand édifice blanc de style gothique, qui fut par la suite reconstruit.

L’occasion de se souvenir que la guerre a occasionné des innovations et des changements dans le domaine vestimentaire, tels le trench ou trench-coat, dont le nom signifie littéralement « manteau des tranchées ».

Z comme zip

Le zip, la tirette, c’est la fermeture éclair qui permet une ouverture rapide et une fermeture sûre des vêtements, mais aussi des sacs et des tentes. Un indispensable qui existe un métal ou en plastique dans de nombreux coloris.


Bibliographie sélective
Clare Hunter, Threads of Life: A History of the World Through the Eye of a Needle, Harry N Abrams Inc, 2019.
Kassia St Clair, The Golden Thread: How Fabric Changed History, John Murray, 2019.
Michel Pastoureau, L’étoffe du diable. Une histoire des rayures et des tissus rayés, Seuil, 1991.
Margaret MacMillan, War: How Conflict Shaped Us, Profile Books Ltd, 2020.

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