Combat : la Résistance au quotidien

Le numéro 100 des numéros 100 En attendant NadeauLe 5 octobre 1944, un mois après la libération de Paris et de sa banlieue, est imprimé le centième numéro de Combat, quotidien dont Pascal Pia et Albert Camus poursuivent la publication depuis sa création en pleine Occupation.

        Avance lente mais continue des alliés au nord d’Aix-la-Chapelle

Une trêve a été conclue à Dunkerque pour l’évacuation de 20 000 civils

                       L’armée rouge à 60 km de Belgrade

Combat a déjà une longue histoire et a porté de nombreux noms, qui ont suivi à la fois l’organisation des groupes de la Résistance et le découpage du territoire français en zones – interdite, occupée, soi-disant « libre », Nord, Sud. Après Les Petites Ailes, Les Petites Ailes de France, Résistance, Vérités, Combat apparaît en décembre 1941, poussé par l’énergie de Bertie Albrecht et d’Henri Frenay.

Le numéro 100 des numéros 100 : Combat, la résistance au quotidien

À l’école aussi il faut une révolution

C’est de surcroît au numéro 100 de la rue Réaumur, dans les anciens locaux de L’Intransigeant qui a cessé de paraître en juin 1940, que Combat sort ce numéro de deux pages, qui coûte deux francs. Sa devise, sous le titre, donne le programme, et elle peut étonner soixante-seize ans plus tard, tant ont été gommées de leur image la vocation sociale et la force révolutionnaire d’une vaste part des maquis : « De la Résistance à la Révolution ».

Londres est opposé au retour à l’Italie de ses colonies

Le numéro suit l’avancée des Alliés sur l’Allemagne à l’est et à l’ouest. En France, l’enjeu du moment n’est plus militaire, mais politique et social. En deuxième et dernière page, on apprend les suites de l’arrestation de Georges Suarez, patron du journal collaborationniste Aujourd’hui – « son arrestation donne lieu à un crêpage de chignons dans un commissariat ». On lit aussi : « Le ravitaillement : Sucrez peu, salez moins ! – Aujourd’hui 250 autobus seulement assurent un service de voyageurs – La commission de justice du C.N.R. proteste contre la lenteur de l’épuration »

Beethoven et Tchekhov sont fêtés à Moscou

Les Russes pensent qu’ils peuvent être utiles à tous sauf aux fascistes

Ce numéro 100 accueille un texte d’André Malraux, « Les survivants découvrent un matin du monde », quatrième partie de son feuilleton intitulé « Faire la guerre sans l’aimer ». Il est plus surprenant de découvrir, sous le titre « La jeunesse hitlérienne préfère Hitler à la guerre », les résultats d’un questionnaire culturel soumis à des prisonniers allemands, dans un tableau tiré de la presse anglaise résumant leurs interrogatoires par les troupes alliées. Ce sont deux militaires, un photographe, deux employés, un jardinier, un fonctionnaire municipal, un ingénieur et un membre du parti nazi.

Voici les résultats. À la question « Qui est Goethe ? », deux répondent : « Je ne sais pas », les autres : « Gauleiter », « un fabricant », « un politicien nazi », « un homme politique », « un éditeur ». Seul le membre du parti répond : « auteur dramatique » ; et le jardinier : « un ami de Schiller ». Beethoven est quant à lui « un pionnier allemand », « un musicien prussien », « un compositeur de la radio », « le chef de la radio ». Quand on demande aux prisonniers « le plus grand écrivain allemand ? », cinq répondent : « Hitler » (dont un, « Hitler et Goebbels »). « Qu’arriva-t-il en 1789 ? » : « Je ne sais pas » ; « Jamais entendu parler » ; « Rien d’important », répond le membre du parti.

Nos lecteurs, tout comme ceux de 1944, jugeront de la pertinence de ces réponses, mais surtout de celle de ce questionnaire à destination de l’opinion publique anglaise puis française, de sa fiabilité, de son rôle. Il nous est plus aisé qu’aux contemporains d’y déceler les traces d’enfances et de jeunesses passées dans le totalitarisme.

Les femmes voteront et seront éligibles aux élections prévues à partir du 1er février 1945

Que se passe-t-il d’autre début octobre 1944 ? Parcourons le numéro dans ses marges, hors de sa titraille. Par exemple dans ses brèves.

Deux cadavres entièrement nus et portant des marques de coups de feu ont été retirés de la Seine à Alfortville, tandis que le corps d’un membre du Parti populaire français (PPF, l’organe collaborationniste de Jacques Doriot) a été retrouvé à Saint-Denis et qu’un manœuvre  arabe a été arrêté pour avoir tiré sur un membre des Milices patriotiques (communistes). Un cambriolage a eu lieu à Septeuil. C’est l’ouverture du Palais de la Découverte.

Parmi les petites annonces (beau pavillon… coupeuses patrons de modes…), il y a les courses, avec l’annonce de « la première journée hippique depuis la Libération » et des lots de la Loterie nationale « à partir du tirage de la Libération ».

Et puis on lit :

« les Allemands ont fusillé la plus grande partie de la population masculine du hameau de Villars-sous-Écot, près de Montbéliard. »

« le 18 septembre les Allemands ont rassemblé 22 hommes habitant ce petit village, y compris des jeunes gens de 17, 16 et même de 15 ans, et les ont emmenés jusqu’à Montbéliard où le chef de la Gestapo leur a annoncé qu’ils étaient condamnés à mort. »

« L’officier allemand qui commandait le peloton d’exécution a prétendu que ces hommes possédaient des drapeaux anglais et américains et projetaient de se joindre aux troupes alliées. »


Combat a disparu en 1974, après de nombreuses péripéties, mais 1 397 numéros, de 1941 à 1948, sont disponibles sur le site de la BnF.