Lectures sentimentales

Penser/classer, L’infra-ordinaire, Je suis né : voilà vers quoi mon regard se tourne si je cherche les volumes publiés dans La Librairie désormais trentenaire chevauchant deux siècles. Non loin de ces volumes et de toute l’œuvre de Perec, se sont installés Pleurnichard, Mon père, Inventaire et La plus précieuse des marchandises, écrits par Jean-Claude Grumberg. Le 20e et le 10e arrondissement peuvent se trouver proches, mais pas seulement eux. Des disparitions leur sont communes.

Je m’arrête sur Je suis né. Et, dans Je suis né, sur la lettre en date du 7 juillet 1969 qui commence ainsi : « Cher Maurice Nadeau ».

Trente ans de Librairie : l'œuvre essentielle de Georges Perec

J’aime la lire pour les sentiments qu’elle cache et révèle à la fois. Perec est un écrivain réservé ; Nadeau ne montrait guère ses émotions. Sans tout lui devoir, le premier doit beaucoup au second, et d’abord de l’avoir aidé à devenir écrivain, comme André Bazin a aidé François Truffaut à devenir critique puis cinéaste. J’associe ces deux jeunes gens et ces deux « anciens » parce que la révolte et l’envie de créer des deux artistes avaient besoin d’être reconnues et soutenues par deux aînés qui sauraient les guider, et surtout les « lâcher », comme on lâche un ballon, pour qu’il vole haut et loin.

J’aime lire cette lettre comme j’aime les récits de filiation, de fidélité, de reconnaissance entre un « père » (biologique ou spirituel) et son fils. Me vient ici à l’esprit un texte tiré de Pourquoi écrire ? intitulé « Patrimoine » : Philip Roth évoque Hermann, son père, qui connaissait l’histoire sociale de Newark en romancier, et a tant inspiré l’auteur de Némésis, le « vrai » romancier.

À part ça, peu de textes me paraissent plus stimulants que L’infra-ordinaire et Penser/Classer. Ah si, peut-être L’œuvre des jours, de Pierre Pachet, dont je regrette rétrospectivement qu’habitant du 3e arrondissement (mais aussi sachant penser et classer) il ne figure pas au même catalogue que Perec et Grumberg.

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