Quelques moments en compagnie de Pierre et de Soizic

J’ai dû rencontrer pour la première fois Pierre Pachet à Orléans, chez une des deux filles de Jean Zay, Hélène Mouchard ou Catherine Martin, dont la librairie, Les Temps modernes, contribuait beaucoup à la vie intellectuelle de la ville. J’avais été très intimidée d’y faire la connaissance de Roland Barthes, en l’honneur de qui était organisée la soirée.

Puis, au cours d’un été, nous avions loué à quelques couples une villa à Sanary, près de Toulon. Pierre était là, avec sa femme Soizic et leurs deux enfants, Yaël et François. Nous partagions notre temps entre la plage, des promenades dans la pinède et des conversations, la nuit venue, sur la littérature, le théâtre et les manières de vivre de l’après 68.

J’avais été à la fois surprise et enchantée de l’aisance avec laquelle Pierre parlait avec ma fille Sandra, alors à peine âgée de 4 ans : il savait passer de l’érudition la plus aigüe au langage de l’enfance, comme s’il avait lui-même conservé intact le chemin qui mène du « petit jour » des premiers temps, si cher à Yves Bonnefoy, à la grande maturité intellectuelle.

En fait, davantage que Pierre, je connaissais Soizic, très active à Orléans dans les années qui précédèrent leur venue à Paris. Elle avait créé, avec un autre enseignant, un groupe de recherche théâtrale qui organisait des stages réguliers et faisait venir de l’université de Vincennes des professeurs de théâtre influencés par Antonin Artaud ou Jerzy Grotowski, comme Michèle Kokosowski, alors directrice artistique du fameux festival de Nancy créé par Jack Lang. Nous avions également pu bénéficier des cours de la grande Irène Jarsky, qui enseignait à l’époque au Conservatoire expérimental de Pantin, dont elle était la co-fondatrice.

Soizic fut ainsi un peu responsable du tournant que prit ma vie au début des années 80 : passionnée de Théâtre, je fus engagée par Antoine Vitez et travaillai avec lui pendant plus de dix ans. C’est d’ailleurs là, au Théâtre national de Chaillot et à la fin d’un hommage en l’honneur du poète tchouvache Aïgui, que Pierre et Soizic étaient venus me trouver, très en colère. Sur le moment, je n’ai pas compris les propos qu’ils me tenaient, aussi les ai-je oubliés. Et du coup, n’ai jamais compris les raisons de leur courroux, d’autant que la soirée avait été superbe : Antoine Vitez et Léon Robel, le traducteur, et tous deux amis du poète, s’étaient partagé la lecture et avaient ensuite échangé des points de vue (pas toujours concordants) sur la traduction.

À partir de 1985, j’ai côtoyé Pierre dans les locaux de la rue du Temple, et plus tard, dans ceux de la rue Saint-Martin, où nous collaborions au journal de Maurice Nadeau. Sa bonhommie bougonne, ou sa rudesse affectueuse donnait du sel à nos rencontres, et ceci jusqu’à ces derniers temps.

J’ai revu Soizic une dernière fois, à une de ces fêtes qu’organisait Maurice Nadeau avant l’été. Elle semblait triste et amaigrie, probablement déjà malade. Quant à Pierre, je l’ai croisé il y a peu de temps, rue aux Ours, il était accompagné par une très jeune fille. En me reconnaissant, il s’est arrêté et il m’a dit, d’un air heureux : « Je te présente Louise, ma petite-fille ».


Retrouvez tous les hommages à Pierre Pachet en suivant ce lien.

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