Les paradoxes de l’écologie chinoise

La lutte contre le réchauffement climatique et les pollutions en tous genres dépendra en grande partie de la Chine et de ses 1,4 milliard d’habitants. Quand la Chine s’éveille verte…, de Nathalie Bastianelli, s’intéresse aux initiatives de la société civile qui tentent d’amorcer la mue écologique de la deuxième puissance économique mondiale.


Nathalie Bastianelli, Quand la Chine s’éveille verte… L’Aube, 328 p., 23 €


En matière d’environnement, la Chine est le pays de tous les paradoxes. Plus grand émetteur de CO2 au monde, elle est aussi le premier investisseur dans les énergies bas carbone. Xi Jinping annonce vouloir atteindre la neutralité carbone en 2060 mais, au même moment, l’État chinois rouvre ses mines de charbon et fait tourner ses centrales à plein régime. Le pays de l’Airpocalypse est aussi celui qui a construit la première ville-forêt du monde. Et si la Chine a inscrit le concept de « civilisation écologique » dans sa Constitution en 2018, elle conserve près de 60 % de charbon dans son mixte énergétique.

Pour tenter de démêler le vrai du faux dans le positionnement écologique du pays, Nathalie Bastianelli, ancienne directrice de filiales de Havas en Chine reconvertie au militantisme environnemental, propose une recension d’initiatives « vertes » lancées par des entrepreneurs et dirigeants d’associations chinois. Elle s’intéresse davantage aux individus et à leurs actions qu’aux politiques nationales en matière de protection de l’environnement. Son livre se présente sous la forme d’un patchwork de portraits et de projets, certains de grande ampleur, d’autres plus anecdotiques.

Quand la Chine s’éveille verte…, de Nathalie Bastianelli

La ville chinoise de Changsha, où Broad Group a son siège © 凌晨疯子

Matériaux de construction, urbanisme, transports, textile, alimentation, modes de consommation, économie collaborative, traitement des déchets… les exemples choisis couvrent à peu près tous les secteurs de la vie quotidienne. Parmi les plus marquants, et c’est l’un de ceux dont l’ampleur est la plus évidente, on retiendra le portrait de Zhang Yue et de son entreprise Broad. Avec ses modules en acier qui s’emboitent les uns dans les autres, l’ancien bibliothécaire devenu patron d’industrie parvient à construire à toute vitesse des immeubles écologiques et durables. Son fait d’armes : la tour J57 à Shanghai, cinquante-sept étages érigés en dix-neuf jours. Performance énergétique, résistance aux séismes, économie de matériaux : les innovations de l’entreprise Broad ont été saluées à l’international et Zhang Yue est devenu un habitué des conférences sur l’environnement. Nathalie Bastianelli en dresse un portrait assez amusant, mi-bourreau de travail, mi-gourou. On apprend ainsi que le siège social de l’entreprise, installé à Changsha dans la province du Hunan, est une ville à part entière, où logent et travaillent près de 2 000 employés. On y trouve une réplique du palais de Buckingham, des statues de Napoléon, Platon, Shakespeare, Confucius et Churchill, entre autres. Les visiteurs se voient offrir une brochure intitulée « Sagesse Immortelle », et les employés doivent « apprendre par cœur le manuel « Attitudes de vie d’un citoyen de la terre » qui contient les instructions détaillées de leur patron pour vivre une vie vertueuse, saine et respectueuse de l’environnement ».

Moins folkloriques mais tout aussi intéressantes, on retiendra les maisons imprimées en 3D du Shanghaien Ma Yihe, ou encore l’entreprise de panneaux solaires Hanergy, qui développe des toits dépliables pour voitures et camions et propose d’équiper de chargeurs solaires une ribambelle d’objets du quotidien. Les pages consacrées à la foodtech permettent également de glaner quelques informations sur les entreprises chinoises à la pointe de la recherche et du développement sur les viandes végétales ou sur les ingrédients à base d’insectes, qui deviendront peut-être des incontournables de l’alimentation du futur.

Si la présentation de ces entreprises de pointe est convaincante, dans la mesure où elles sont réellement pionnières dans leur domaine et sont susceptibles d’avoir un impact au-delà de leurs frontières nationales, le reste de l’ouvrage l’est un peu moins. Il perd en force lorsqu’il s’éloigne des projets industriels pour traiter des modes de vie et de consommation.

Un restaurant végétarien à Shanghai, une vente directe de produits fermiers, une créatrice de mode qui utilise des feuilles d’ananas, des hôtels de luxe convertis à l’écotourisme… L’auteur multiplie et juxtapose les exemples sans que leur pertinence soit toujours évidente. Soit parce que les cas traités ne concernent qu’une poignée de personnes (haute couture, écotourisme de luxe, coaching de vie), soit parce que les tendances décrites nous sont déjà tout à fait familières (économie participative, notamment).

L’idée est probablement de montrer que la société civile chinoise ressemble de plus en plus à la nôtre, par son mode de vie et ses préoccupations environnementales. C’est vrai, même s’il faut souligner que l’on parle ici avant tout de la classe moyenne urbaine des villes côtières. Les chiffres sont très révélateurs de l’incroyable montée en puissance de la Chine et c’est l’un des aspects intéressants du livre : décrire, en filigrane, l’évolution récente de la société et de l’économie chinoises. Mais ces statistiques nationales ne doivent pas faire oublier les énormes disparités qui existent encore dans le pays.

L’éveil de la conscience écologique de certains Chinois est évidemment une excellente nouvelle. Et le livre de Nathalie Bastianelli en offre un panorama éclairant, très documenté et parfois assez drôle : il y est notamment question de parapluies partagés et d’un restaurateur qui pesait ses clients pour « prôner la fin du gaspillage et promouvoir des commandes saines de nourriture ». Mais la mue écologique de l’Empire est peut-être plus lointaine que ne voudrait le démontrer l’auteur.

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