Une nouvelle inédite de Sylvia Plath

Une nouvelle inédite a été retrouvée dans les archives personnelles de la poétesse Sylvia Plath. Où Mary Ventura obtient gain de cause et fuit courageusement le destin qui l’attendait.


Sylvia Plath, Mary Ventura et le neuvième royaume. Trad. de l’anglais par Anouk Neuhoff. La Table Ronde, coll.  « La nonpareille », 47 p., 5 €


Écrite en 1952, cette nouvelle de jeunesse de Sylvia Plath (elle avait vingt ans) fut refusée par le magazine Mademoiselle dont elle avait remporté le concours l’année précédente. Déception franche de l’auteure qui s’attache à la réécrire, à la remodeler, et même à la réduire de moitié. En vain.

Combien de rébellions fermentent silencieusement ? Où trouvent-elles de quoi nourrir leur révolte, voire leur farouche volonté d’affranchissement dès lors qu’il s’agit d’en découdre avec la « faute »originelle, la culpabilité, toutes ces strates surmoïques qui stigmatisent la névrose, et la difficulté d’être simplement ?

Certes, les être humains ont besoin d’action et non de tranquillité, notait Virginia Woolf dans Une chambre à soi. Mais cette prometteuse perspective signifiait pour Plath «s’entraîner soi-même dans les séductions d’une écriture loquace : saisir une prose signifiante », afin, disait-elle, de disposer d’une vie merveilleuse, et libre.

Le sujet abordé par Mary Ventura et le neuvième royaume, sa tonalité particulière, effrayait-il le comité de lecture ?

Le récit, décrit par Sylvia Plath comme un « vague conte symbolique », emprunte aux thèmes bibliques, métaphysiques et fantastiques. Il évoque une nouvelle de Dino Buzzati pleine d’angoisses ; un train semble mener ses passagers à une catastrophe inéluctable, sans possibilité de retour.

Sylvia Plath, Mary Ventura et le neuvième royaume

Sylvia Plath © D. R.

Le « Neuvième Royaume » est le royaume de la volonté pétrifiée, celui « des nerfs paralysés » de l’inaction, ou de l’horreur tenace, sourde, terrifiante, d’une existence atone, dans laquelle les forces du désir se désintègrent, occupées à se tourner – sans lassitude – vers « la dictature totalitaire », à l’instar des directives fermes, paternelles, décisives auxquelles on a toujours à se sacrifier.

Mary Ventura, la jeune fille pauvre, est plutôt encline à obéir à ses parents, nonobstant ses craintes, en s’efforçant de s’adapter à leurs exigences sans en deviner la finalité.

Nul ne sait d’avance où mène le Neuvième Royaume ! Ainsi est-elle poussée dans le train par ses parents bien qu’elle ne veuille pas partir de chez elle. L’inquiétude qui la saisit est atténuée par le confort qu’elle perçoit dans le wagon et par le plaisir qu’elle prend à siroter un ginger ale.

Cette passivité mortifère, l’ère de la glaciation à laquelle participent, indifférents et blasés, les autres passagers du train, est progressivement soulignée dans la nouvelle par l’apparition d’une vieille dame sévère, bienveillante, tricotant paisiblement, une sorte de Dame Lazarus, qui accompagne la prise de conscience de la jeune fille.

Dès lors, il faut, quel qu’en soit le prix, émerger de la détresse, de la « cage de verre » : c’est-à-dire, comme l’écrit Plath dans ses Journaux, se résoudre à créer : « fuir dans les vagues, l’hypocondrie, le mysticisme, n’importe où, pourvu que je sois délivrée du fardeau, du poids terrifiant, abominable, de la responsabilité de soi et de l’ultime jugement sur soi ».

Sylvia Plath, Mary Ventura et le neuvième royaume

Par quel « évangile », par quels exercices coercitifs, par quelles laborieuses contraintes, pourrait-elle être sauvée ? Comment devenir habile par la puissance de la pensée, de l’imagination et du travail ?

Si « le monde est une page vide », comme elle l’écrit dans ses Journaux, que l’urgence est de saisir le réel pour ce qu’il est, dans sa porosité sensible, sa spécificité, sa prégnance, comment résoudre la question liée au temps, à l’expérience (à la continuité de celle-ci), à cette dimension toute personnelle, toute subjective que désigne « le point de vue d’une personne pour raconter, partir de soi et ouvrir sur l’extérieur : c’est ainsi que ma vie sera fascinante et cessera d’être une cage de verre. Si seulement je réussissais à faire ce passage dans une nouvelle ».

Comment ne pas demeurer muette, impassible, seulement assise, docile, derrière la vitre ? En s’élançant dans la fiction, pourrait-on répondre naïvement. En cherchant à renouer avec la permanence d’une sécurité intérieure, même provisoire, de celle qui permette de s’opposer aux ukases, de contester les lois, les règlements imposés par d’autres.

Mary Ventura et le neuvième royaume oppose à l’entrave initiale son idéalisme juvénile, sa parabole singulière, sa solution désinvolte, fantaisiste. Ce sont les prémices d’une œuvre à venir. C’est sa force vive.

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