Courses-poursuites sur trois continents

Suspense (18)

Sebastian Rotella, auteur américain de Triple Crossing et du Chant du converti, est  senior reporter (suivant la terminologie anglo-saxonne, plus descriptive et moins prétentieuse que la française avec son « grand reporter ») spécialisé dans le terrorisme, le crime organisé, et l’immigration.


Sebastian Rotella, Trafiquants § Associés. Trad. de l’anglais (États-Unis) par Françoise Bouillot. Liana Levi, 360 p., 21 €


Avec Trafiquants § Associés (Rip Crew pour le titre original), Rotella reprend certains personnages de ses précédents romans et le thème de l’immigration qu’il connaît fort bien pour avoir longtemps enquêté aux frontières du Mexique et d’autres pays d’Amérique latine. Mais, dans ce dernier roman, il superpose à la question du trafic de clandestins celle des agissements criminels de grands groupes financiers américains pour inventer un récit d’action et d’aventures à la fois très bien informé et très virtuose.

Le scénario : dix migrantes africaines sont retrouvées assassinées dans un motel à la frontière mexico-états-unienne. Le crime paraît peu compatible avec les méthodes et les intérêts habituels des passeurs ou même des « rip crews », ces gangs pirates qui viennent voler les « marchandises » des autres ou kidnapper « leurs » immigrants pour les relâcher contre rançon. C’est en tout cas ce que pensent les trois héros principaux de Trafiquants § Associés, liés à des services de sécurité américains, qui, en s’intéressant à ce que dissimule l’exécution des jeunes femmes, vont se lancer dans d’éprouvantes courses-poursuites sur plusieurs continents (Nord et Sud américain, Europe) et se retrouver dans d’épineuses situations dont ils ne se tireront qu’en utilisant pétoires dernier cri ou bons vieux crocs-en-jambe et uppercuts à la mâchoire.

Sebastian Rotella, Trafiquants § Associés

Car Rotella est un très bon écrivain d’action. Qu’il s’agisse de l’arrestation d’un passeur dans une gargote de Pakal-Na au cœur de la jungle guatémaltèque, ou d’une fusillade de la mafia nigériane dans une ville au nord de Naples, une chorégraphie précise et pleine de suspense est mise en place. Chacun exécute suivant ses compétences, son habileté et sa chance, un rôle dans un ballet qui lui vaut d’avoir ou non la vie sauve. « Nos » héros, devant bien sûr resservir pour d’autres prestations, s’en tirent toujours convenablement, même si s’impose ensuite parfois pour eux un petit rafistolage hospitalier.

Cet art du mouvement, à l’œuvre dans les épisodes-clef, n’est qu’un des plaisirs du livre dont la dynamique générale, celle du poursuivant poursuivi, est ici prenante. En effet, Trafiquants § Associés organise avec brio et bons effets de couleur locale une traque que commande de plus ou moins loin la cheffe de la Sécurité intérieure américaine basée à Washington, Isabel Puente, et qu’exécutent principalement ses deux vieux potes Pescatore et Méndez. Tous ont vite compris que c’est une compagnie américaine corrompue qui a organisé le massacre des migrantes pour éliminer l’une d’entre elles en possession de documents compromettants pour elle (la compagnie) et que, comme elle (la jeune femme) a échappé à la mort, elle (la compagnie) a dépêché des tueurs pour l’assassiner. Pescatore et Méndez doivent donc tenter de la retrouver avant que… etc.

Sebastian Rotella, Trafiquants § Associés

Sebastian Rotella © Philippe Matsas/Opale

Trafiquants § Associés repose donc sur une mécanique efficace, quasi chronométrée, qui est celle du roman d’aventures et du thriller. Mais il reste cependant « sérieux » sur le fond, car Rotella, auteur d’un livre d’enquête (non policier) intitulé Pègre et politique à la frontière américano-mexicaine (non traduit en français), veut faire profiter Trafiquants § Associés de son savoir étendu et d’anecdotes précieuses sur les mœurs et figures des trafics frontaliers. Comme il écrit presque toujours avec vivacité et bon goût, il réussit à mêler agréablement réalisme des bas-fonds et fantaisie musculaire de l’action.

Les deux personnages masculins principaux, Pescatore et Méndez, font efficacement leur travail de héros, et leur contraste, quasiment de rigueur dans les duos policiers, convainc et plaît – l’un (privé indépendant mais travaillant pour Isabel Puente) est un peu plus brut de décoffrage que l’autre (journaliste mexicain, militant des droits de l’homme, réfugié en Californie du Sud pour échapper à la mafia de son pays). Quant au dernier membre du trio, Isabel Puente, leur cheffe donc, et ancienne amante de Pescatore, elle intervient assez peu dans les cavalcades de terrain et échanges de tirs, ce qui vaut peut-être mieux étant donné ses tenues (« talons hauts », robes « mettant en valeur courbes et ce qu’il faut de cuisses et de décolleté », etc.), mais donne avec autorité les ordres qui mèneront, après divers rebondissements, à la résolution d’une affaire dont les coupables viennent in fine des hautes sphères du business et de la politique.


Cet article a été publié sur Mediapart.
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