Reprenant les codes du récit apocalyptique, Une météorite nommée désir, deuxième roman de Lucien Raphmaj, se déroule dans une atmosphère caniculaire où le réel est contaminé par des projections imaginaires. L’auteur propose une version poético-métaphysique de la fin du monde annoncée par la chute prochaine d’une météorite révélant la possibilité d’un renouveau.
Dans un espace baigné d’une lumière crépusculaire bleutée, l’auteur convoque des objets du quotidien mués en choses intergalactiques, un téléphone portable tenant le rôle central, un cybercafé qui sent l’ozone, des personnages aux noms d’étoiles. La narratrice, qui ne porte pas de nom, vit à Los Angeles, enchaînant les jobs en bibliothèque et en restauration, le désir chevillé au corps de devenir scénariste. Un jour, une météorite lui annonce par SMS son arrivée prochaine et catastrophique sur Terre. Un message aussi littéral que cryptique qui initie un échange intersidéral entre elles.
« Imagine, peut-être que le sort de l’univers est là, dans ma poche, dans mon téléphone, avec cette météorite dont le message nous pousse à reconsidérer notre existence. »
« La Terre va disparaître. » Bip bip. C’est le point de départ d’une quête aux allures de voyage psychonautique et d’expérience existentielle. La narratrice, secouée, est aussi mue par l’espoir. Elle est suspendue à la survenue possible d’un nouveau signal. Elle cherche à démêler les fils et doute de tout. Aussi, l’attente de signes se transforme bientôt en attente amoureuse de Saïph, jeune fille qu’elle fantasme. L’annonce du désastre se convertit en désir et en promesse d’amour.
Lucien Raphmaj ne cherche pas à reproduire une histoire où les évènements s’enchaîneraient logiquement. Il travaille la langue poétiquement pour baigner le lecteur dans une atmosphère spécifique qui demande d’abandonner les coordonnées qui nous guident habituellement dans un récit. La traversée à l’aveugle se fait à tâtons et demande de se fier au ressenti. Cependant, l’excitation première laisse rapidement place à une hantise aux allures de mauvais rêve. L’activité interprétative pathologique de la jeune femme l’empêche de distinguer entre une arnaque publicitaire et l’annonce programmatique d’une apocalypse dont l’information lui serait réservée. Tout fait signe. Les scénarios se multiplient. Le sens se dissout. Elle se perd dans la catastrophe qui diffuse désormais la conscience de notre fragilité, de notre solitude et de notre incompréhension.
Dans une prose cosmique, l’écrivain interroge notre besoin de fiction. Aux franges de la folie, la narratrice se désidère. Cette « désidération » est au cœur d’un travail indiscipliné que mène Lucien Raphmaj dans la Cellule Cosmiel avec l’artiste SMITH et le cosmologiste Jean-Philippe Uzan. C’est une émotion particulière teintée de mélancolie que l’on ressent à la séparation d’avec le cosmos et les étoiles. La narratrice, amphibie, est partagée entre désir et appréhension. Désir d’un nouvel évènement inédit et appréhension d’une fin inéluctable du monde.
Une météorite nommée désir est un récit d’aventures en deuil où ne persiste que la possibilité d’une confrontation et d’une rencontre avec le néant et l’absence. Dans ce compte à rebours programmé – puisque le livre égrène les chapitres du trente-neuvième jusqu’au dernier –, Lucien Raphmaj décrit une apocalypse qui ne vient pas. Une imminence toujours près de se produire et qui pourtant jamais ne se réalise. L’auteur traque ce rapport particulier au temps qui déjoue le scénario catastrophe classique puisque ici la catastrophe reste conjuguée au futur. Ainsi, dans le suspense de ce non-évènement, des interrogations flottent. Comment dialoguent destruction et création ? Quelle dose d’inéluctable faut-il pour que du nouveau puisse rejaillir ? Qu’est-ce qui, dans l’énigme, active le désir ? Quelles sont les sources de la réconciliation ?
A travers cette réflexion-fiction eschatologique, Lucien Raphmaj remodèle les façons de concevoir notre rapport au réel. Reconnaître l’indéchiffrable de l’énigme et le non-sens du monde. Chercher un endroit de réconfort, d’acceptation, quelque chose de sensible. Faire place à l’incompréhension. Permuter sa perspective sur le monde pour enfin, qui sait, réussir à faire valser son corps à la surface des signes en ribambelle. Point de conclusion. Le suspens d’une question.