Thomas Clerc s’est baigné plusieurs fois dans plusieurs eaux. Il avait raconté son expérience des piscines parisiennes dans le journal Libération. Pour EaN, il compare, sans conclure, ses habitudes à la mer et ses habitudes en piscine.
Quand j’arrive à la piscine, je me dis : « j’en ai pour une demi-heure ». Quand j’arrive devant la mer, je me dis : « une vie n’y suffirait pas ». Quand je décide d’aller à la piscine, c’est un acte de volonté pure. Quand je décide d’aller à la mer, c’est un désir. Les abords de la piscine sont parfois sinistres, ceux de la mer peuvent l’être, mais la mer les lave. Quand j’entre dans la zone de déchaussage, j’ai l’impression de faire partie d’un processus. Quand j’enlève mes chaussures pour marcher dans le sable, je sens que « j’existe ».
Quand je vais à la piscine, j’ai un sac plastique bleu. Quand je vais à la plage, j’ai un sac tissu bleu et blanc. À la piscine, je dis bonjour aux maîtres-nageurs. À la plage, ils sont ou absents ou lointains. Je peux rester une ou deux heures sur une plage, rentrer, revenir me baigner. Je ne vais jamais deux fois à la piscine dans la même journée. Quand je vais à la piscine, je mets un bonnet de bain si c’est obligatoire. À la mer, j’ignore cet accessoire. Je n’emporte pas de livres à la piscine, même s’il y a un solarium. J’ai toujours un livre dans mon sac de plage.
J’entre dans le bassin avec circonspection. Je peux me jeter dans la mer. Un corps n’est jamais désirable à la piscine. Il l’est plus souvent sur la plage. Autour des bassins, un panneau dit « interdit de courir », un autre « interdit de manger », un autre « apnée interdite ». Les panneaux de plage sont plus axés sur la prévention et moins sur l’interdiction. Je vais à la piscine en toute saison. Je vais à la mer l’été. Quand je nage dans le grand bassin, je pense moins à l’eau qu’au bassin. Quand je nage dans la mer, je pense à la mer. Mon maillot de bain de piscine est bicolore. Mon maillot de bain de mer est noir. J’ai un maillot de piscine et deux de plage. Je peux me baigner nu dans une mer, mais pas à la piscine municipale.
Quand je fais des longueurs, je ne pense à rien. Quand je nage dans la mer, je ne fais pas de longueurs. À la mer, je peux nager vers le large ou suivre la côte. À la piscine, je dois suivre les lignes destinées aux nageurs. En général, les piscines ont un nom propre, les plages plus rarement. Je ne connais pas de plage Henry-de-Montherlant ou Montparnasse. L’eau de javel n’est pas agréable. L’eau salée est aromatique. À la piscine, je pense à des choses concrètes, des améliorations que je pourrais apporter à ma vie, à mon emploi du temps. À la mer, j’ai des sensations, des images, des rythmes. J’ai vite froid à la piscine. À la mer, je peux avoir froid mais, comme je ne me baigne que par temps chaud, j’ai vite chaud.
J’utilise à la piscine deux petites serviettes japonaises très pratiques. J’ai deux grands draps de bain pour la plage. À la piscine, les enfants me gênent en faisant des bombes. À la plage, ils me rappellent l’enfant que j’étais. À la piscine, j’ai l’impression d’appliquer un programme. À la mer, je suis déprogrammé. À la piscine, j’admire (ou non) l’architecture de la piscine. À la mer, j’admire le paysage, qu’il soit naturel ou urbanisé. Après la piscine, la vie urbaine recommence.
Après le bain de mer, il peut y avoir un autre bain de mer ou de soleil. La douche que je prends après la piscine est sans intérêt. La douche que je prends après la mer est délicieuse.
Je nage à la piscine. Je barbote dans la mer. Si je nage en mer, je n’ai pas l’impression de nager mais de faire partie du Grand Tout. L’eau est vivante dans la mer, elle est fausse dans la piscine. L’eau de mer peut être pénétrante, voire hostile. L’eau de piscine est sans qualités. La qualité de l’eau m’intéresse plus en mer qu’à la piscine. Si l’on diffuse de la musique pendant que je fais des longueurs, j’ai l’impression d’être dans un club de vacances. La mer n’offre que les bruits les plus naturels. À la mer, j’ai parfois la curiosité d’aller à la piscine municipale voisine. J’ai plus de plaisir à nager dans l’eau de mer, mais plus de peur aussi. Je n’ai pas peur à la piscine mais je n’ai pas de plaisir. À la piscine, le toit peut s’effondrer. À la mer, il peut y avoir un orage.
Une piscine découverte est plus agréable mais presque toujours bondée. La mer est parfois déserte, je m’arrange pour qu’elle soit sans promiscuité. Je plonge la tête sous l’eau dans la mer. Je reste la tête hors de l’eau dans le bassin. Les dos-crawleurs me gênent à la piscine. Je ne les remarque pas dans la mer. Je reçois des coups de pied latéraux dans le grand bassin. Je vois des poissons entre les jambes méditerranéennes. La nage en piscine est une ascèse. La nage en mer est une joie.
J’aime marcher le long d’une plage. Je ne vois pas l’intérêt de faire le tour d’un bassin. Je m’accroche à la bouée du large. Je n’utilise pas d’accessoires de piscine. Il y a parfois du bois sur la plage et dans l’eau. Il n’y a que du plastique dans la piscine. Une amie m’a dit : « dans l’eau nous sommes toujours au milieu », c’est vrai pour l’eau de mer mais dans une piscine je sens d’abord le cadre, le rectangle. La piscine est municipale. La mer est universelle. Quand je nage dans la mer je me récite les vers de Baudelaire : « Et, comme un bon nageur/qui se pâme dans l’onde ». Quand je fais vingt-cinq mètres, je regarde la pendule. Je vais toujours seul à la piscine. À la plage, on m’accompagne parfois.