Près des grands bois du Big Thicket

« L’Imaginaire » offre avec La maison d’haleine de William Goyen l’un des plus beaux textes de la littérature américaine et l’un des plus méconnus. « Rêve d’amnésique », selon son auteur, il possède une telle grâce et une telle puissance qu’il en fait battre le cœur. Le poète W. H. Auden, fasciné par le livre, avait confié que « chaque page était plus belle que la précédente, et [qu’] on était terrifié à l’idée de ce que pouvait réserver la suivante ». Joyce Carol Oates y voyait l’œuvre du « plus mystérieux des écrivains » et Gaston Bachelard le citait avec admiration dans La poétique de l’espace.

« Lyrique », « visionnaire », « fantastique », avaient jugé de leur côté les critiques de 1950, stupéfaits par la maîtrise littéraire de ce premier roman aux accents plus proches de la poésie élégiaque et mystique que de la prose. L’écriture, très recherchée, s’y déploie avec la fluidité de l’intuitif et du passionnel, et avec une musicalité que l’auteur disait venir des « sons magnifiques » entendus dans son enfance.

William Goyen, La maison d’haleine

L’histoire est celle d’une douleur obscure qui se fait entendre en un oratorio de voix humaines ou non humaines. Leur souffle (cf. le « breath » du titre anglais) s’élève pour évoquer une maison, un monde d’eau, de campagne et de forêts, tous disparus, et pour esquisser un retour qui est aussi une montée en gloire quasi eschatologique. La déploration affective, érotique et religieuse y module un sentiment d’effroi devant l’interdit, la culpabilité, et le scandale d’une question métaphysique sans réponse. En même temps naît un rêve, du domaine du sublime, où toutes les différences entre soi et le monde, entre générations, entre sexes, seraient abolies et dont les aspects de jouissance et de terreur sont proprement merveilleux.

Tout cela se joue à Charity (le Trinity de l’enfance de Goyen), dans l’est du Texas, près des grands bois du Big Thicket, avec récitatifs ou vastes airs dramatiques et voluptueux de Ben Berryben, Gand’maman Ganchion, Malley, Folner, Swimma, Christy, la rivière, l’insecte qui habite la cave… et un narrateur qui les invoque « grain par grain, en rosaire », et qui « les touche, les nomme et les revendique comme lui appartenant » : « Oh ! Charity ! ».


William Goyen, La maison d’haleine. Trad. de l’anglais (États-Unis) par Maurice-Edgar Coindreau. Gallimard, coll. « L’Imaginaire » (n° 96), 252 p., 7,20 €

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