Une vie en friche

Le deuxième roman d’Abby Geni, Zoomania, tente de remplir son ambitieuse mission de lanceur d’alerte après la catastrophe. L’alliance d’une petite fille et de son frère rebelle militant pour la sauvegarde animale, une cavale de l’Oklahoma à la Californie, police aux trousses, autant de pistes qui perdent la vigueur de la tornade.    


Abby Geni, Zoomania. Trad. de l’anglais par Céline Leroy. Actes Sud, 357 p., 23 €


La calamité a frappé Mercy, une petite ville de l’Oklahoma : le père, la ferme, les animaux ont disparu, restent quatre orphelins dont Cora la benjamine de six ans qui donnera, trois ans plus tard, le récit des disparitions successives. Cette catastrophe climatique se double bientôt d’un attentat dans l’usine de cosmétiques voisine, l’explosion d’une bombe qui dénonce la maltraitance animale et fait sortir les bêtes de laboratoire. La destruction commence à se jouer sur tous les fronts, au climat s’ajoute la réaction des victimes et des défenseurs de causes. D’entrée de jeu, le roman d’Abby Geni joue sur l’enfance, la fratrie, les lendemains de la catastrophe qui a changé leur frère Tucker : ce mélange délétère va-t-il entraîner une accalmie réparatrice ou une dynamique du sursaut face à une urgence vitale alors que la famille McLoud devient l’image médiatique du malheur installé ? Un troisième pic de radicalité surgira plus tard, à minuit, lors de la libération des animaux du grand zoo du sud de la Californie par Tucker, infiltré dans la place.

Zoomania : le deuxième roman d'Abby Geni raconte une vie en friche

En ces temps où il s’agit de concevoir un monde d’après, Abby Geni anticipe des façons de ruser et de faire face, elle traite de rêves et de rébellions, plus particulièrement de violences et de rencontres avec la nature et l’écosystème dont l’humain est à la fois partie prenante et agent destructeur. S’agit-il d’un roman opportuniste ? La question se pose, bien que, de manière plus constante, cette sédentaire de Chicago soit authentiquement fascinée par les environnements extrêmes et la faune sauvage – lions, girafes et autres albatros –, comme en témoigne son recueil de nouvelles The Last Animal (2013), et qu’elle observe particulièrement cette lisière entre l’humain et l’animal, ligne de tous les dangers.

Lancé comme un thriller à suspense écologique, Zoomania aligne tous les ingrédients du succès annoncé : la voix d’une enfant avec son amoralité et son réalisme sensoriel, la division d’une famille, la clandestinité, une course-poursuite, des actes flamboyants dont l’attaque d’un poste de ranger pour empêcher la chasse aux crotales, l’incendie du magasin d’un taxidermiste, une fusillade pour abattre l’Homme aux poulets, grand industriel de l’élevage en batterie, bref, la déclinaison attendue de ceux qui ont maltraité les animaux à des titres divers. L’aînée, Darlène, veille au quotidien, mais Cora va fuguer pour accompagner son frère Tucker, électron libre en mal d’héroïsme, convaincu que sa mission est de sauver le monde, et elle partage désormais avec lui l’exaltation, le nomadisme et les dangers. Pour autant, Abby Geni ne convainc pas dans cette opposition sommaire de deux modes de vie, la lenteur, à des fins de liaison et de vraisemblance, mine le tout, à commencer par la mise en place de la routine de Cora, de l’école au mobile home, jusqu’à la déflation finale où, en toute banalité, la police retrouve les fugitifs et permet ainsi de reprendre la vie de famille interrompue. Mais la canicule frappe à nouveau la terre calcinée de Mercy.

Linéaire, scandé par les scènes d’activisme violent de Tucker, ce roman n’est pas exempt des tics de composition enseignés par Abby Geni dans ses ateliers de creative writing, sans avoir le souffle de Farallon Islands (2017), qui a lancé sa notoriété. Si Zoomania veut dire l’urgence, proposer une méditation sur la nature, un certain ennui gagne et fait manquer la cible.

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