Une jeune fille

À quoi tient le désir de lire le roman d’une inconnue ? L’enthousiasme n’est pas forcément suscité par les premières pages, qui peuvent paraître trop adroites et donc convenues. Et puis le miracle se produit, si lumineux que l’on va dire à tous ses amis : « Voilà un livre que j’ai beaucoup aimé ».


Laurine Thizy, Les maisons vides. L’Olivier, 272 p., 18 €


L’autrice des Maisons vides a sensiblement l’âge de mes filles. Elle s’appelle Laurine Thizy et s’est attachée à ce mystère pour les parents que sont les secrets d’une adolescente. Ceux-ci peuvent paraître dérisoires ou au contraire tragiques, sans que l’on puisse mesurer ce qui serait leur importance objective. On a beau savoir que la question est absurde, on n’en reste pas moins tenté de dire que ceci est grave et que cela ne l’est pas. Comme s’il pouvait y avoir une objectivité de la subjectivité. Il faut être aussi aveugle à l’évidence que sa mère pour ne pas voir que Gabrielle, l’héroïne de ce roman, porte des secrets qui ne sont peut-être pas très ordinaires. Mais son entourage n’en voit rien, même quand elle est prise d’une terrible anorexie. Si l’on s’attachait moins à la personnalité de Gabrielle, on pourrait tenter de lire ce livre comme une description de l’aveuglement familial. Ses parents ne sont d’ailleurs pas de mauvaises personnes, ils font ce qu’ils peuvent mais ne voient rien de ce qui devrait leur sauter aux yeux.

Les maisons vides, le premier roman de Laurine Thizy

Il faut d’abord avouer que le début des Maisons vides ne m’avait pas enthousiasmé. Ce livre me paraissait trop « bien écrit », au sens où une institutrice parlerait de « belles dictées ». Et puis j’ai très vite accroché à cette histoire d’une jeune fille, depuis sa naissance très prématurée jusqu’à son entrée en terminale, et je ne pouvais plus m’en défaire. Après plusieurs semaines, l’émotion subsiste, avec la présence rémanente de cette « Gabrielle éperdue », une forte personnalité, exceptionnelle comme tout bon personnage de roman, bien que la plupart des choses qui sont racontées relèvent de ce qui pourrait être assez banal, entre petite enfance délicate et crise aiguë d’adolescence. L’autrice a le même âge qu’elle et paraît avoir eu la chance de la rencontrer. C’est en tout cas ce qui est arrivé à la personne qui assure la fonction de narratrice, dont on ne comprend qu’après coup la position dans cette histoire.

Gabrielle vit et elle est très attachante, avec tout ce qu’elle cache à son entourage – qui pourrait tout de même ouvrir un peu plus les yeux et se demander sérieusement pourquoi au juste elle renonce à cette gymnastique de compétition dans laquelle elle excelle. Le lecteur se convainc qu’il en va ainsi dans la vie : on accroche ou on décroche sans trop savoir à quoi cela tient. Les explications que l’on (se) donne s’apparentent plutôt à des reconstructions a posteriori. C’est seulement dans les livres que tout finit toujours par s’expliquer. Même là, toutefois, il n’est pas malsain que subsiste une part de mystère.

Les maisons vides, le premier roman de Laurine Thizy

Laurine Thizy © Patrice Normand

Les maisons vides est fait d’une quarantaine de chapitres pour la plupart assez brefs, qui forment trois séries distinctes. Certains sont numérotés en chiffres arabes, d’autres en chiffres romains, d’autres simplement précédés d’un astérisque. Le lecteur ne remarque pas tout de suite cette différence, ni son lien avec ce dont il est question dans chaque série de chapitres. Il perçoit tout de même que, de l’un à l’autre, Gabrielle n’a pas le même âge, sans deviner la logique qui prévaut à cet enchaînement. Sans doute s’agit-il d’événements déterminants de son existence, survenus à différents moments de sa vie et qui doivent avoir été marquants. Mais pourquoi ? Les pièces du puzzle juxtaposent des épisodes vécus à des âges très différents, tantôt l’adolescente, tantôt la petite fille, tantôt le bébé très prématuré. On ne sait pas trop ce qui est vraiment important pour elle et ce qui ne l’est guère mais fait partie de cet ensemble qui constitue une personnalité. Des choses reviennent, d’autres surviennent, dans un désordre qui n’est jamais perturbant mais n’est pas non plus présenté comme explicatif, ni pour le lecteur ni même pour les personnages. On sent la construction savante sans voir les échafaudages.

La réussite du livre de Laurine Thizy tient sans doute à cette conjonction entre le travail littéraire et la spontanéité des sentiments évoqués. Prise isolément, cette petite Gabrielle pourrait paraître insupportable. Mais nous connaissons tout de sa famille, presque une étude sociologique sur une petite ville du sud-ouest, au pied des montagnes, entre agriculture et professions urbaines, médicales en particulier. Et sur elle pèse la lourdeur d’un catholicisme qui n’est perçu que comme une contrainte dont le sens échappe. Comparée à son entourage, presque intégralement médiocre, Gabrielle la révoltée attire la sympathie, même dans ses incompréhensibles colères. Il y a beaucoup de choses en elle que l’on ne comprend pas. Que sont, par exemple, ces araignées qui lui envahissent les poumons et qu’elle crache en cachette ? L’autrice parvient à ce que le lecteur ne se dise pas que c’est là un symbole qu’il suffirait de décrypter. Point de symboles ici, ni de clés, un personnage frémissant de vie.

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