Du néologisme verbal décamérer : « sortir de sa chambre en restant confiné ». Quarante-troisième jour de confinement : « ballet de nuit ».
« Il était une fois un morceau de bois. Une simple bûche prise dans le tas de bois à brûler, de celles que l’on met en hiver, dans le poêle ou dans la cheminée pour allumer un feu et réchauffer les chambres. »
(Carlo Collodi)
Une auberge toscane, dans la plaine du Mugnone. Très petite. L’aubergiste et sa femme avaient un garçon au berceau et une fille adolescente. À l’étage, il n’y avait qu’une pièce : une chambrée.
Pinocchio, jeune citadin, venait souvent manger à l’auberge. Il avait un faible pour la fille de l’aubergiste, Colette (une autre Colette ?). Il la regardait, elle le regardait, ils se taisaient. Il repartait (soupirant).
Plus la passion est vive, moins ses craintes ont d’empire : celle de Pinocchio finit par ne plus leur laisser de place – il se met à rêver, il imagine un plan.
Il va chercher Adrian, un ami. Au soir couchant, ils vont frapper à la porte de l’auberge. On ouvre. Ils demandent l’hospitalité pour la nuit. « Nous sommes pris de court, monsieur, nous n’arriverons pas à rentrer à la ville avant la nuit. Pouvez-vous nous héberger ?
– Je n’ai pas beaucoup de place, mais, si vous n’êtes pas trop exigeants, je ferai de mon mieux. Entrez ! »
Dans la chambre se trouvaient trois lits, rangés de manière à occuper le moins de place possible : deux collés au mur, et le troisième, en face, fermait le carré.
L’aubergiste fit préparer le plus confortable des lits pour les deux voyageurs. Dès qu’on les supposa endormis, l’aimable Colette entra dans la chambre pour se glisser dans ses draps. Les époux occupèrent le lit restant – la mère fit rouler le berceau de son enfant à côté d’elle.
Nuit noire, et souffles du sommeil.
Alors Pinocchio se leva sans bruit et alla se serrer contre Colette. Elle le reçut avec beaucoup de frayeur, mais beaucoup plus de plaisir encore : Pinocchio eut tous les droits d’un amant aimé.
Ivresse et chuchotis.
Dans l’intervalle, Adrian se lève pour une envie pressante – il tombe sur le berceau qui l’empêche de rejoindre la porte – il le déplace près de son lit. À son retour, il oublie de le remettre à sa place, et se recouche.
Un chat se faufile dans la cage d’escalier – un objet tombe.
La femme de l’aubergiste, réveillée, se lève pour voir d’où vient le bruit. Elle revient sur la pointe des pieds, ne trouve pas le berceau. « Ouh là, se dit-elle, j’allais me coucher avec les étrangers ! » Elle tâtonne, trouve le berceau et se recouche.
Elle se croit dans les bras de son mari. (…)
Au milieu de la nuit, craignant de s’endormir dans les bras de Colette, Pinocchio voulut revenir dans son lit. Il tombe sur le berceau, rejoint l’autre lit.
Il se croit couché aux côté de son ami. Il le secoue pour le réveiller.
Nuit toujours, chuchotements.
« Adrian, Adrian ! Rien au monde, non rien, rien n’est aussi doux que Colette. » Il lui susurrait sa nuit d’extase et de volupté. « Ça par exemple, vous me le paierez ! Comment avez-vous osé ? » Pinocchio, abasourdi, allait tout avouer et demander pardon.
Sur ces entrefaites, la femme de l’aubergiste se lève discrètement, déplace le berceau, le met à côté du lit de sa fille, s’y couche. Elle feint de se réveiller au bruit de la dispute.
« Qu’est-ce que c’est que ce vacarme ?
– Tu n’entends pas ce qu’a fait ce Pinocchio ? Dans notre chambre, avec Colette ?
– Il ment effrontément ! J’ai passé la nuit dans le lit de Colette, pour bercer le petit sans faire de bruit. J’aurais tout vu ! Vous, les hommes, vous vous enivrez le soir, vous vous couchez çà et là et vous prenez vos désirs pour des réalités ! »
Et que faisait Pinocchio dans son lit ?
« Pinocchio est somnambule, s’écria Adrian, il marche et parle dans son sommeil. »
Alors, les bras à l’horizontale, Pinocchio se leva et retourna dans le premier lit en murmurant des choses bizarres.
L’aube pointait – trois minutes plus tard, il se réveillait en sursaut. « Adrian, Adrian, est-ce qu’il fait jour ? »