Les antivax à travers les siècles

La résistance aux vaccins augmente sensiblement. Un ouvrage de la biologiste Françoise Salvadori et de l’historien Laurent-Henri Vignaud trace l’historique de l’opposition à une technique longtemps présentée comme un triomphe de la médecine.


Françoise Salvadori et Laurent-Henri Vignaud, Antivax. La résistance aux vaccins du XVIIIe siècle à nos jours. Vendémiaire, 384 p., 23 €


En Californie, à la fin du mois d’avril 2019, des campus universitaires ont été mis sous haute surveillance et des étudiants placés en quarantaine par crainte d’une épidémie de rougeole. En 2000, pourtant, on croyait la maladie éliminée du pays grâce à un vaccin disponible de longue date, et parfois administré conjointement avec ceux qui protègent contre la rubéole et les oreillons. Qu’est-il arrivé en vingt ans pour expliquer le retour d’une pathologie que l’on pensait disparue de l’un des pays les plus développés au monde ? Le refus de vacciner s’est normalisé et, aux États-Unis comme dans d’autres pays, l’immunité de troupeau n’est plus acquise.

Françoise Salvadori et Laurent-Henri Vignaud, Antivax. La résistance aux vaccins du XVIIIe siècle à nos jours

La vaccine ou Le préjugé vaincu, de Louis Boilly (1807)

En neuf chapitres, le livre de Françoise Salvadori et Laurent-Henri Vignaud, dont le titre, Antivax, reprend le nom de ceux qui s’opposent aux vaccins dans le monde anglophone, propose une présentation historique et analytique des actions de résistance. La traversée des origines de l’immunisation préventive en Europe, avec l’inoculation variolique rapportée de Turquie à Londres grâce à une ambassadrice entreprenante, lady Mary Wortley Montagu, au début du XVIIIe siècle, met en évidence des constantes dans le discours. On s’inquiète de connaître les dangers de l’administration artificielle d’un mal à un être sain – et des conséquences morales et affectives si le patient meurt ; on se demande si d’autres maladies peuvent – comme dans les tristes histoires de sang contaminé à la fin du siècle dernier ou les légendes urbaines sur la transmission de la sclérose en plaques par le vaccin contre l’hépatite – être communiquées involontairement à l’occasion de l’immunisation.

Le lecteur pourrait croire que les différentes étapes décisives que furent l’introduction de la vaccination – le fait de donner une maladie sans danger, la variole des vaches, pour protéger contre la variole aux conséquences, elle, souvent épouvantables –, l’atténuation pastorienne ou encore la fabrication de vaccins artificiels dont le principe actif est « mort », auraient rassuré définitivement le patient. De toute évidence, ce n’est pas le cas.

Françoise Salvadori et Laurent-Henri Vignaud, Antivax. La résistance aux vaccins du XVIIIe siècle à nos jours

Des faits ont écorché l’image de marque d’une méthode longtemps considérée comme miraculeuse. Il suffit de songer à la prise de conscience d’abus comme les essais cliniques sur des populations mal informées et dont on ne demande pas le consentement, ou à la condamnation de la situation de monopole de certains lobbys du secteur pharmaceutique. S’ajoute à cela la difficulté de prouver l’efficacité des vaccins. Les psychoses qui créent des réactions politiques parfois excessives, comme celle, en France, face au H1N1 ou grippe aviaire, d’un côté, et, de l’autre, la diffusion, notamment par les réseaux sociaux, de fake news sur des ratés vaccinaux controuvés et les théories de conspiration y afférentes, créent des peurs parfois infondées.

Dans la contestation d’une médecine longtemps vue comme toute-puissante, certains de nos contemporains retrouvent des angoisses primaires fondées sur une conception holiste du corps humain. Le témoignage individuel est souvent vu comme plus essentiel que la démonstration scientifique, l’émotion que la raison.

Comme le signalent les auteurs, en tirant la sonnette d’alarme, les « antivax » ont contribué à l’élaboration d’un débat ouvert autour de l’efficacité des vaccins et de leurs risques, même s’ils l’ont fait trop souvent en passant par des histoires infondées. Il est à regretter que, en posant des questions parfois légitimes, ils conduisent à mettre en danger inutilement des groupes mal informés. Si l’on pouvait espérer, à la fin du XVIIIe siècle, parvenir à éliminer complètement les pires maladies qui frappent l’être humain, il faut rappeler que, plus de deux siècles plus tard, seule la variole a disparu de la planète.

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