Plus l’écologisation de la société se fait urgente, plus la contre-offensive réactionnaire s’accentue. Qui la nourrit et avec quels arguments ? Des penseurs et penseuses de l’écologie actuels dressent une cartographie édifiante des stratégies et des obstructions.
Certains tentent de relativiser le greenbacklash, au motif qu’il n’y aurait pas de backlash citoyen en matière d’écologie, mais un backlash politique, porté par la droite et l’extrême droite. Pour les auteurs de Greenbacklash. Qui veut la peau de l’écologie ?, aucun doute : le backlash existe bel et bien en France où trois événements concomitants en apportent la preuve flagrante. La discussion sur la loi Duplomb le 26 mai dernier, à l’Assemblée nationale, autorisant les méga-bassines et l’usage de pesticides dangereux ; l’examen, le lendemain, du projet de loi anéantissant l’objectif de zéro artificialisation nette des sols ; et l’autorisation, le surlendemain, de la reprise du chantier de l’A69 par la cour administrative d’appel de Toulouse. Soit trois symboles d’incohérence pour la santé, les sols, les ressources, la biodiversité, le paysage… Qu’est-ce que le backlash à la lumière de ces exemples ? Une expression anglophone construite sur le modèle de greenwashing et qui signifie « retour de bâton », comme si l’écologisation de la société était allée « trop loin », assez loin en tout cas pour déclencher une contre-offensive réactionnaire que les auteurs de cet ouvrage n’hésitent pas à nommer « guerre contre l’écologie ».
Certes, le mouvement est planétaire, l’anti-écologie ayant pris de la vigueur avec l’arrivée au pouvoir de présidents comme Donald Trump aux États-Unis (2016), Scott Morrison en Australie (2018) et Jair Bolsonaro au Brésil (2019). Mais, en France, des doutes apparaissent : la pensée écologique serait-elle incapable de l’emporter politiquement ? Une partie des écologistes se serait-elle éloignée des rapports de classe ? L’écologie de gouvernement se serait-elle révélée désastreuse ? « Le backlash actuel ne ressort pas fondamentalement de ces éléments, tempèrent en introduction les historiens Laure Teulières et Steve Hagimont et le chercheur en écologie politique Jean-Michel Hupé. Il instrumentalise ces critiques internes pour servir d’autres intérêts, fondamentalement opposés à une réelle écologisation des sociétés. »
S’ils n’écartent pas les critiques à faire à l’écologie, qui a connu des revers, leur analyse porte un autre diagnostic : les démocraties seraient « coincées » entre un consensus productiviste et la reconnaissance des limites planétaires. La crise s’étend et les mesures à prendre enflent tant qu’elles en paraissent impossibles, justifiant l’inaction dans un monde où les impérialismes grimpent et l’industrie numérique explose avec ses rêves d’humanité augmentée et l’avènement de l’intelligence artificielle. « L’écologie entre ainsi dans la liste des cibles du tournant autoritaire qui accompagne ces dynamiques contemporaine du capitalisme. »

Cet ouvrage collectif, qui assume et défend que sa démarche scientifique est aussi « de combat », est découpé en vingt-six entrées signées des grands penseurs et penseuses de l’écologie actuelle. Ils et elles tentent un tour d’horizon du greenbacklash mondial, de révéler les tentatives de discréditer l’écologisation et s’intéressent aux institutions qui soutiennent le greenbacklash. « Le greenbacklash est la réaction d’acteurs et de groupes d’intérêts financiers et technologiques qui refusent les logiques redistributives qu’impliquerait une transition réelle. »
Marchands de doute et attaques contre la science aux États-Unis, extrativisme colonial et néocolonial en Amérique latine, attaques contre les législations environnementales à Bruxelles… La députée européenne Marie Toussaint pointe un « capitalisme de la finitude », l’économiste Geneviève Azam un « fascisme de la fin des temps », en reprenant l’expression de l’essayiste et militante Naomi Klein. « Les écolos sont catastrophistes ! », revendique Luc Semal (auteur de Face à l’effondrement, militer à l’ombre de catastrophes aux PUF) dans un article où il montre l’influence de l’entrepreneur Elon Musk, techno-prophète qui conteste la catastrophe climatique au motif que les solutions techniques nous en préserveraient. Cette affabulation rencontre d’autant plus de succès qu’elle autorise l’immobilisme en se drapant dans une soi-disant prudence et une rhétorique « rassuriste ». Face à cela, trois choses à faire, conseille Luc Semal : « Exposer l’origine de cet anti-catastrophisme déguisé en défenseur de la raison ; ensuite étudier sans manichéisme les reproches peut-être partiellement justifiés qui sont adressés au catastrophisme écologiste ; enfin, se nourrir d’études empiriques en sciences sociales qui montrent que le catastrophisme écologiste comme un phénomène politique majeur du XXIe siècle. »
La parade réclame plus de ressources que la croyance béate des « prométhéens » en une science qui sauve… À l’opposé, les lanceuses et lanceurs d’alerte sont – comme les féministes – souvent qualifiés d’hystériques exagérant les risques, rappelle Luc Sémal. Ce fut le cas de Rachel Carson en 1962, quand elle a publié Printemps silencieux. Ce fut le cas également du rapport Meadows sur les limites de la croissance et des ressources (1972), souvent présenté comme l’archétype de l’ouvrage apocalyptique.
Les militants écologistes les plus critiques sont aussi perçus comme des fossoyeurs d’emplois, par exemple lors de la dénonciation des risques inhérents à l’industrie nucléaire. On trouve aussi dans le cas de l’amiante « des mécanismes constitutifs d’un backlash discret qui relie critique de l’écologisation et sauvegarde de l’emploi », estiment l’historien Renaud Bécot et la sociologue Marie Ghis Malfilatre. Mais pas de fatalité, d’après eux : « Un environnementalisme ouvrier s’exprime dans les pays industrialisés dès les décennies 1960-1970 ». En outre, le coût sanitaire et environnemental des choix industriels a déclenché de nouvelles alliances combinant justice sociale et écologie.
Autre frein à l’écologie : elle serait une affaire de privilégiés. « 70 % des jeunes des quartiers populaires affirment ne pas se sentir représentés par le mouvement écologiste », résume la géographe Sarah-Maria Hammou selon laquelle le greenbacklash « ne prend pas toujours la forme de discours réactionnaires explicites. Il s’exprime de manière silencieuse, diffuse, sous la forme d’une désaffiliation sociale ».
Le scientisme, le techno-solutionnisme, le lobbying : pour éclairer le partenariat entre les firmes agrochimiques et les États, le directeur d’étude au CNRS Sylvain Laurens et le journaliste Stéphane Foucart prennent l’exemple de la réforme des tests réglementaires d’évaluation des risques des pesticides pour les abeilles et les pollinisateurs. Les procédures entamées en 2013 devant la Commission européenne pour mieux apprécier ces risques n’ont toujours pas abouti. « Le Greenbacklash se joue ainsi bien souvent plutôt du côté d’arènes techniques feutrées où s’expriment doctement des docteurs en toxicologie mandatés par l’industrie… », cinglent-ils.
Les historiens Anne-Claude Ambroise-Rendu et Steve Hagimont épinglent les médias et figures médiatiques du backlash. Quant aux climatologues, ils sont devenus des figures à abattre, victimes de piratage informatique, de menaces et d’intimidations, tout comme les militants. En France, la répression à l’encontre de ces derniers s’amplifie depuis 2020 et surtout la mobilisation contre les méga-bassines à Sainte-Soline (Deux-Sèvres) le 23 mars 2023. Lassés des marches climat, les mouvements écologistes misent sur des démarches plus offensives qui sont taxées d’écoterrorisme pour stigmatiser les militants. Les journalistes enquêtant sur l’agrobusiness ou le travail agricole des saisonniers sont inquiétés. Et si des batailles se gagnent devant les tribunaux, le droit de l’environnement fait l’objet de tentatives de « simplification ». En somme, plus la pression s’accentue sur le modèle productiviste et plus ses défenseurs montrent les dents. Ce livre s’applique à les identifier.

 
			 
			 
			 
			 
			 
			 
			 
			 
			 
			 
			