Énigme dans les Apennins

Suspense (46)

Dans La main de Dieu, le dernier livre de Valerio Varesi, un cadavre est retrouvé à moitié immergé dans la boue sous un des plus vieux ponts de Parme. Le commissaire Soneri, héros mélancolique des six précédents romans de l’auteur, doit alors quitter sa ville pour aller enquêter loin en amont, dans les neiges et les montagnes des Apennins, là où nait la rivière Parma. Il va tenter, dans une bourgade perdue, au milieu d’habitants hostiles, mesquins et taiseux, de résoudre l’énigme.


Valerio Varesi, La main de Dieu. Trad. de l’italien par Florence Rigollet. Agullo, 343 p., 21,50 €


Là-haut, il fait froid, il neige, la route s’effondre, laissant Soneri coincé au village. Rocs, frimas et flocons romagno-émiliens remplacent ici les plates étendues et les brouillards de la plaine du Pô, plus habituels chez Varesi (sauf dans Les ombres de Montelupo, un roman lui aussi « d’altitude »). Encore une fois, les paysages et les conditions atmosphériques fournissent de belles descriptions et d’excellents parallèles à l’humeur de Soneri.

La main de Dieu, de Valerio Varesi : énigme dans les Apennins

Laquelle, jamais au beau, l’est ici moins que jamais. Le microcosme montagnard dans lequel il débarque est un lieu « glocal » (mot employé par Varesi dans une interview), un de ces endroits « où la modernité et la tradition se superposent sans qu’aucune des deux ne soit soluble dans l’autre [avec pour] résultat… un mélange hétérogène et strident ». S’y côtoient les rares tenants du passé qui souhaitent conserver leur belle montagne, ceux qui veulent la vendre aux industriels du ski, des nouveaux venus haïs des « locaux », d’étranges « hommes des bois » vivant en autarcie dans les hauteurs, des migrants qui passent les cols, des trafiquants mafieux…

Varesi/Soneri, de plus en plus fataliste, va effectuer au fil de son enquête une lecture pessimiste de ce qui l’entoure, lecture qui vaut pour l’état général de l’Italie contemporaine. Sa tristesse coutumière devant la trahison des idéaux du passé, la défaillance des vieilles solidarités, l’avidité capitalistique, est toujours présente mais peut-être moins que sa lassitude devant l’absence de toute spiritualité et de toute éthique vis-à-vis de son prochain et de la nature. Un garde-forestier amoureux de sa région, un prêtre exilé par sa hiérarchie dans ce lieu perdu pour avoir fait preuve d’une conception trop subversive du christianisme, des autarciques primitifs adeptes du troc, sont là pour servir de contre-exemples au délitement moral généralisé.

Cette vision désespérée n’empêche pas le livre de faire preuve, comme les autres, d’humour, ni Soneri d’ironiser sur son inadéquation au monde, aidé en cela par deux personnages bienveillants et narquois, son amie Angela et son collègue Nanetti.

La main de Dieu, de Valerio Varesi : énigme dans les Apennins

© Jean-Luc Bertini

Mais dans cet univers où tout s’effondre, on continue à manger merveilleusement, même chez l’aubergiste odieux chez qui Soneri a dû prendre pension. Trolghino, anolini au bouillon, sanglier… La nourriture, toujours délicieuse, est certes un motif littéraire dans nombre de romans policiers (dits) méditerranéens (Izzo, Camilleri, Markaris…) mais elle acquiert presque chez Varesi un statut d’héroïsme hédoniste et élégant. C’est le dernier baroud d’honneur pour une sociabilité à l’ancienne et pour l’élévation de soi par la culture gustative.

Trinquons avec Soneri et commensaux, parcourons les hêtraies l’œil sur futaies et cépées, marchons dans la neige et les rochers, fréquentons des personnages « splendidement hors du temps » et d’autres sinistrement bien de leur temps, et suivons jusqu’à son dénouement cette enquête aux tonalités apocalyptiques. Elles ont leurs charmes, tout comme le spleen, la sensibilité et l’impuissance de Soneri, homme selon notre cœur.

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