Une grande poétesse italienne chez Arfuyen

Refuges de la poésie

Parmi les éditeurs de poésie, Arfuyen est assurément l’un des plus attractifs, à la fois par la qualité des textes – citons parmi les nouveautés Georg Trakl, Pierre Dhainaut, Ishikawa Takuboku – et par leur réalisation matérielle. La maison vient de publier La folle de la porte à côté de la poétesse italienne Alda Merini (1931-2009), dont l’œuvre a été saluée dans son pays – elle a reçu le prestigieux prix Librex Montale.


Alda Merini, La folle de la porte à côté. Suivi de Conversation avec Alda Merini. Trad. de l’italien par Monique Baccelli. Postface de Gérard Pfister. Arfuyen, 208 p., 17 €


Créées en 1975 par Gérard et Anne Pfister, ces éditions proposent plusieurs collections qui se répartissent entre littératures francophones et étrangères, dont les « Cahiers d’Arfuyen », « Les Vies imaginaires » et « Ainsi parlait ». Il est à noter que la crise sanitaire a eu peu d’impact sur leur activité. Les quelques problèmes de diffusion ont été compensés par un intérêt accru pour le catalogue.

La folle de la porte à côté est une sorte d’autobiographie, mêlant journal intime, réflexions et témoignage poignant sur la folie dont l’autrice fut atteinte toute sa vie, avec quelques rémissions.

Avec Alda Merini, Arfuyen révèle une grande poétesse italienne

D’une telle lecture, on ne sort pas indemne. Cela tient d’abord à la puissance évocatrice de l’écriture qui nous entraîne dans les méandres d’une vie extravagante et marginale, malgré la fréquentation de grands écrivains italiens tels que Salvatore Quasimodo et Giorgio Manganelli. D’une sexualité libre, Alda Merini ne nous cache rien de ses liaisons amoureuses, les plus belles comme les plus sordides. Il y a en elle une mystique contrariée – elle avait voulu entrer au couvent – et un besoin de souffrance : « souffrir est un art. Il faut apprendre à souffrir. Et surtout il faut souffrir sans se racheter ». Elle attend de la poésie, non pas un rachat, mais une sublimation : « Le poète doit donc parler, il doit prendre cette matière incandescente qui est la vie de tous les jours et en faire une coulée d’or. »

Où est la réalité, où est l’imaginaire ? En lisant Alda Merini, on ne sait plus vraiment. L’impression domine qu’elle se croit victime d’un vaste complot. Mais pour elle ce n’est pas une croyance, c’est une réalité vécue. C’est ainsi : la folie invente son propre réel. Aussi angoissante soit-elle, elle est une expérience de l’être en dehors des limites de la raison. On ne dira jamais assez qu’elle est avant tout une souffrance – « purificatrice, dira la poétesse, une souffrance comme quintessence de la logique » – et souvent elle enferme plus qu’elle ne libère. La grande force d’Alda Merini est d’essayer de « gérer sa folie », d’en faire un support de créativité littéraire, « un métier de démence qui peut vous élever à des hauts niveaux de poésie ». D’une certaine manière, elle est sauvée de la folie par son écriture qui fait d’elle une grande poétesse italienne. Au fur et à mesure qu’on la lit, un doute s’insinue en nous : et si « la folle de la porte à côté » ce n’était pas elle, si c’était l’autre, si c’était nous, et même la société tout entière, comme l’écrivait magnifiquement Artaud au sujet de Van Gogh ?

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