Victor Hugo et la photographie

Dans l’avant-propos de Victor Hugo devant l’objectif, Jean-Marc Gomis retrace la genèse de son livre et déclare avoir, après sept ans de recherches, réuni « l’ensemble des occurrences liées à la photographie dans l’œuvre de l’écrivain, y compris ses Carnets », qu’il a tous relus, « mais aussi dans sa correspondance, ainsi que dans celle de son entourage (Juliette Drouet, ses éditeurs, ses amis, ses connaissances et sa famille) ».


Jean-Marc Gomis, Victor Hugo devant l’objectif. Préface de Sophie Fourny-Dargère. L’Harmattan, 451 p., 39 €


On suppose que Jean-Marc Gomis fait référence à ce qui a été publié de la correspondance de Hugo – et qui est très loin de l’exhaustivité visée par Jean et Sheila Gaudon, hélas disparus – et de celle de Juliette : ses 22 000 lettres à Hugo, en cours de publication sur le site www.juliettedrouet.org, dont 9 675 étaient en ligne au moment où le présent compte rendu a été rédigé, mais sensiblement moins à l’époque où Jean-Marc Gomis écrivait son livre.

La préface emprunte son titre au livre lui-même, à moins que ce ne soit le contraire. Quoi qu’il en soit, le subjectif ne tarde pas à s’exprimer : la phrase qui suit une citation de Hugo notant qu’il laisse pousser sa barbe pour voir si cela le protègera des maux de gorge : « Il semble bien que ce soit une décision d’ordre purement esthétique afin de cacher un cou devenu bien épais », au lieu d’être inspirée par quelque révélation de l’ouvrage – ce qui la justifierait –, semble bien émaner d’une conjecture personnelle.

Jean-Marc Gomis, Victor Hugo devant l’objectif.

Victor Hugo [Atelier Nadar] © Gallica/Bnf

La caractérisation traditionnelle, impliquée par le titre de l’Introduction générale – « Victor Hugo : un œil » –, pourrait paraître un peu réductrice, Jean-Marc Gomis le reconnaît judicieusement. Il achève cette introduction de façon originale par une citation du célèbre poème de L’art d’être grand-père, « Jeanne était au pain sec… », où il identifie « le cabinet noir » à celui de Hauteville House, qui servait à la fabrication des photos de Charles Hugo et Auguste Vacquerie. L’allusion serait donc rétrospective, car le poème est daté dans le manuscrit du 21 octobre 1876, époque à laquelle Hugo ne séjourne pas à Guernesey. On l’admet d’autant mieux que Jean-Marc Gomis nous offre en guise d’illustration une photographie inédite de Jeanne, la petite-fille de Hugo.

Les quatre chapitres du livre se répartissent entre « Avant l’exil » (1827-1851), avec une introduction sur « les débuts de la photographie » ; « Pendant l’exil. Jersey » (1852-1855), avec une introduction sur « l’atelier photographique de Marine Terrace » ; « Pendant l’exil. Guernesey » (1856-1870) ; et « Après l’exil » (1870-1885). Leur contenu consiste en un relevé de toutes les occurrences de la photographie dans la correspondance et les carnets de l’écrivain. Les références des citations sont scrupuleusement fournies mais il conviendrait de préciser que les lettres consultables en ligne ne sont inédites qu’en l’absence d’une édition imprimée.

Un lecteur pointilleux pourrait prendre pour un anachronisme l’évocation de Hugo voyant passer en 1850 « le carrosse de l’empereur », mais la citation est exacte et ne manquent que les guillemets qui rendraient à Hugo la responsabilité de cette remarque, qui peut passer pour une anticipation audacieuse. Saluons l’esprit critique qui se manifeste à l’égard de légendes tenaces : celle d’un Hugo auteur ou metteur en scène de certaines photographies, notamment celle qui le représente sur le Rocher des Proscrits. On aurait aimé autant de distance à l’égard des propos de Pascal Brissette qualifiant de « pour le moins forcées » les « performances oratoires » de Hugo, à l’époque de la Deuxième République, et considérant l’exil comme un moyen pour lui « de se constituer un immense capital d’infortune qu’il sut magnifiquement gérer jusqu’à sa mort ». Et, dans les « Repères chronologiques », on peut regretter l’utilisation récurrente, à partir de 1856, de la formule « Victor Hugo se fait photographier par », susceptible de conforter l’idée reçue selon laquelle Hugo « construit son image ».

Jean-Marc Gomis, Victor Hugo devant l’objectif.

Victor Hugo [Atelier Nadar] © Gallica/Bnf

La citation répétée du même billet d’une certaine Valentine Larreur avec une variante dans la date a échappé à la vigilance de l’auteur. On aurait aimé, au passage, avoir quelque lumière sur sa rédactrice. On remarque aussi une erreur de lecture dans la transcription de la légende d’une photo d’Arsène Garnier : « blocs » au lieu des « aloès » mentionnés au-dessus et à la page précédente.

On appréciera les corrections argumentées apportées à l’attribution à Pierre Petit de photos de Radouxi, et surtout à certaines datations. Débusquant à bon droit les photomontages de Pesme, Jean-Marc Gomis est peut-être trop enthousiaste à l’égard de celui d’Appert. Quoi qu’il en soit, on lui saura gré de ses « Notices sur les principaux photographes cités ». La bibliographie est substantielle. Peu de titres superflus : Hugo et la sexualité (dont beaucoup s’accordent aujourd’hui à reconnaître le manque de rigueur), La Belgique industrielle… Quelques lacunes : l’édition des Œuvres complètes de Hugo dans la collection « Bouquins », des albums illustrés de photographies de Hugo : celui de la Pléiade (1964) par Martine Ecalle et Violaine Lumbroso, Victor Hugo, sa vie, son œuvre par Danièle Gasiglia (éditions Frédéric Birr, 1984), Album d’une vie / Victor Hugo par Florence Gentner (Chêne, 2008) ; des catalogues d’expositions, notamment La gloire de Victor Hugo (1985), coordonné par Pierre Georgel, qui y étudiait « les images » de Hugo.

Le livre bénéficie considérablement du prêt gracieux de photographies par la Maison Vacquerie-Musée Victor Hugo de Villequier ; plusieurs beaux portraits sont issus de cette collection : de Hugo, de Mme Hugo, de Charles et François-Victor. Des raretés tirées par Jean-Marc Gomis de sa propre collection attirent aussi l’attention : portraits de Hugo, de Mme Hugo, de François-Victor, mais aussi de Sarah Bernhardt dans le rôle de la reine de Ruy Blas, d’Auguste Vacquerie, de Cécile Daubray en Cosette, du « sarcophage » de Hugo au Panthéon avec l’inscription « Génie et Bonté » qui aurait paru à Hugo le plus bel hommage. Bilan positif, en somme, de cette traversée d’un sujet peu traité jusqu’alors. Avec d’abondantes et précises références, un souci d’exactitude et des mises au point utiles.

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