Victor Hugo est probablement l’une des personnalités les plus caricaturées au monde, comme Napoléon Ier, Charles de Gaulle ou Lincoln. Plus d’un millier de portraits-charges accompagnent sa vie littéraire et politique. Des prismes souvent déformants.
Caricatures à la une. Maison de Victor Hugo. 6, place des Vosges, 75004 Paris. 13 septembre 2018-6 janvier 2019
Vincent Gille (dir.), Caricatures à la une. Catalogue officiel. Paris Musées, 288 p., 18 €
Au départ, Hugo est perçu comme « la plus forte tête romantique » ; son front et son ambition sont démesurés ; il dirige le cortège du romantisme ; il règne au Panthéon ; les deux tours de Notre-Dame sont sa mitre ; il s’assoit sur de multiples livres et sur les « rentes » ; son pied droit se pose sur le toit du Théâtre-Français et son pied gauche porte un talon sur la coupole de l’Académie française.
Ici, dans cette exposition passionnante de la Maison de Victor Hugo, 143 caricatures surgissent. Daumier, Benjamin Roubaud, Grandville, Bertall, Charles Jacque, Jean-Pierre Moynet, Gigi, Nadar, Cham, Fabritzius, Emy, Quillenbois, Marcelin, Gustave Doré, Valère Morland, André Gill, Déloyoti, Pilotell, Georges Montbard, Carjat, Adrien, Henri Meyer, Charles Gilbert-Martin, Collodion, Faustin, G. Bar, Alfred Le Petit, Félix Rey, G. Lafosse, A. Bourgevin, Japhet, A. Grippa, J. Blass, Jam Herr, Lilio, Henri Demare, Arthur Sapeck, Luque, Édouard Pépin, L. Isoré sont tour à tour respectueux ou féroces, doucement ironiques ou cruels. Certains sont très célèbres : Daumier, Doré, Nadar, Gill, Cham, Bertall ; d’autres sont peu connus et pourtant inventifs.
Tu découvres divers journaux satiriques qui sont de lointains ancêtres du Canard enchaîné et de Charlie Hebdo. Ils ont une ligne politique et prennent parti dans des publications littéraires, dans des pièces de théâtre. Nombre de ces journaux sont républicains : Le Charivari, La Caricature (fondé en 1830), Le Grelot (quotidien anticlérical), Le Journal pour rire, La Petite Lune, L’Éclipse, Le Pétard, Le Voltaire, Le Don Quichotte, Le Drôlatique, Le Carillon, etc. Les journaux légitimistes, monarchiques, catholiques sont Le Caricaturiste, Le Triboulet ; depuis 1849 jusqu’à sa mort, ils sont globalement hostiles à Hugo… La plupart des caricatures ne se soucient guère de la vie privée de l’écrivain ; pourtant, Le Triboulet est hugophobe : « Pair de France, conservateur sous Louis-Philippe, Hugo était en même temps fabricant de drames obscènes et impies ; de plus, ses mœurs n’étaient pas celles d’un père de famille, qui doit donner l’exemple ; c’étaient ses relations publiques avec la fille entretenue Juliette Drouet. »
En France, au XIXe siècle, la question de la liberté de la presse revient. Empires, monarchies ou républiques ont pratiqué la censure – que l’on surnomme alors « Anastasie » ; assez souvent, les caricatures sont interdites et passibles d’amendes. Une ordonnance de Charles X provoque la révolution de 1830 après avoir supprimé la liberté de la presse ; puis la Charte constitutionnelle d’août 1830 la rétablit. Suit une alternance de courtes périodes de liberté (1830-1835, février-août 1848), suivies de lois répressives (septembre 1835, août 1848, décembre 1851, février 1852) ; la situation commence à s’améliorer à partir de 1868. Et la loi du 29 juillet 1881 garantissant la liberté de la presse est toujours en vigueur, avec des contrôles juridiques, avec des suspensions de journaux, avec des avertissements, avec des procès… Or Hugo n’a cessé de réclamer et de défendre la liberté de la presse. Il n’a jamais interdit qu’on le caricature, ni protesté contre aucun dessin le représentant, fût-il féroce. Il a été victime de la censure pour deux de ses pièces de théâtre ou témoin des condamnations, suspensions et procès intentés à L’Événement.
À un des ses amis qui s’inquiétait d’une mauvaise critique parue dans la presse, Hugo déclare en 1832 : « Tout article est bon ! Pour bâtir votre monument, tout est bon ! Que les uns y apportent leur marbre, les autres leur moellon ! Rien n’est inutile ! » Il remercie les dessinateurs ; il félicite par exemple Gilles, Alfred Le Petit , Daumier, Pilotell… Il les invite à dîner avec les patrons de presse et les rédacteurs en chef. C’est un échange de bons procédés ; Hugo fait vendre et il profite ; sans cesse on le nomme, on le représente…
Né à Besançon le 26 février 1802, Hugo meurt à Paris le 22 mai 1885, à 83 ans. Le 1er juin, le gouvernement décide les funérailles nationales ; son cercueil est exposé sous l’Arc de triomphe et transporté au Panthéon. En 1883, Hugo prend ses dispositions testamentaires : « Je refuse l’oraison de toutes les Églises ; je demande une prière à toutes les âmes. Je crois en Dieu. »
Le 31 mai 1885, dans Le Grelot, Édouard Pépin dessine l’archevêque de Paris, le cardinal Guibert, juché sur le toit de l’hôtel Victor Hugo ; le Cardinal chercherait à attraper l’âme du défunt avec un filet à papillons près de la cheminée. Au contraire, Le Triboulet imagine et dessine un enterrement religieux, un office… Près de trois millions de Français saluent le poète. Le 5 juin 1885, dans Le Don Quichotte, Charles Gilbert-Martin dessine au-dessus du Panthéon un Hugo qui rayonne comme un soleil : une apothéose.
Un certain nombre de charges sont narquoises ; plus ou moins méchantes. En 1883, Hugo médiéval a un front immense : « M. Hugoth n’est pas seulement un homme ordinaire ; surtout, il a du front. » En 1835, dans Le Charivari, l’air du poète n’est pas commode ; ses cheveux évoquent la crinière d’un lion. En 1842, Daumier dessine Hugo qui flâne près des guirlandes de gigots dans une boucherie de Francfort. En 1843, dans une loge, Hugo isolé regarde les comédiens appuyés sur des béquilles dans les Burgraves : « Hugo va tout seul voir sa pièce, pleine de radotages et de caducités. » En 1848-1849, la presse républicaine critique les revirements de l’ex-monarchiste devenu conservateur modéré, on le juge versatile, opportuniste ; on le soupçonne de vouloir devenir ministre… En 1849, dans Le Journal pour rire, Bertall hésite : « À travers les champs de la fantaisie, l’homme-cathédrale se livre à une chasse acharnée de figures de rhétorique et de périphrases magnifiques ; ce qui ne l’empêche pas de ramasser parfois de belles et généreuses pensées. » En août 1849, Hugo préside le Congrès de la paix ; il espère alors : « L’on verra les États-Unis d’Amérique et les États-Unis d’Europe, se tendant les mains par-dessus les mers, échangeant leurs produits, leurs commerces, leurs industries, leurs arts, leurs génies… » ; mais Quillenbois, dessinateur monarchiste, représente Hugo qui joue avec des bulles de savon. En 1850, Hugo s’oppose à la loi Falloux qui favorisait l’enseignement confessionnel ; il lutte, opiniâtre.
De 1851 à 1870, c’est la notoriété et la popularité de l’absent, de l’exilé, sa droiture politique et morale ; il est le proscrit. En 1867, dans La Lune, Gill représente Hugo-soleil sur les flots ; la légende est une phrase du poète : « Je veux toute la liberté comme je veux toute la lumière. » Déloyoti dessine Hugo qui terrasse la pieuvre. En 1869, Hugo est assis à califourchon sur la cathédrale. Géant dans un paysage, il est Gulliver ligoté. En 1870, Napoléon III est chassé ; dans Le Charivari, Daumier expose L’aigle impérial foudroyé par Les Châtiments. Deux ans plus tard, Hugo médite ; un lion lèche son pied et la République le couronne. En 1874, dans L’Éclipse, ce serait L’Homme qui pense. Dans Le Carillon, en 1878, Hugo et Voltaire sourient. En 1879, il propose au Sénat l’amnistie pour les communards ; il est « le vieux briseur de chaînes ». Mais, en 1880, Le Triboulet, royaliste, voit Hugo en vieille cartomancienne qui favorise « les assassins politiques ». En 1881, c’est La fête de Hugo ; sur le char triomphal, Zola serait un chien qui pisse près d’une roue. Dans Le Triboulet, Hugo à 80 ans porte une toge rouge et des sandales : « C’était le pleurard qui gémissait sur le sort de fusilleur d’otages. » Et, pourtant, Hugo rit, pense, lutte pour la liberté et la vérité. Il résiste.