Un atelier à ciel ouvert

L’originalité des 103 dessins que Michel Mousseau expose actuellement dans le Morbihan mérite le détour géographique et le commentaire. Réalisés à la mine de plomb durant les deux mois de sa résidence au domaine de Kerguéhennec, ils prolongent, sans toutefois l’achever, une expérience étonnante : considérer un village du Cotentin comme un atelier à ciel ouvert.


Exposition du 31 mars au 2 juin 2019. Domaine de Kerguéhennec, 56500 Bignan. Avec, outre Michel Mousseau, Daniel Pontoreau

Michel Mousseau. Territoire des origines, cent trois dessins. Catalogue de l’exposition. Textes ou entretien de Olivier Delavallade, Célia Houdart, Madeleine Renouard. Domaine de Kerguéhennec, 176 p., 25 €


Michel Mousseau a entrepris cette expérience en 1996 là où il se rend chaque été – son atelier à toit fermé se situant à Paris dans une ancienne menuiserie reconvertie et transformée par ses soins, où il vit et où il peint sur des toiles qui éclatent de couleurs énergiques. À des périodes précises qui apparaissent comme des parenthèses régulières, ce jeune homme de quatre-vingts ans au regard vif et bleu, au corps mince et agile, « se lève tous les matins à 6 h », comme il l’explique à Madeleine Renouart, écrivain et critique (dans un livre antérieur, Le métier de peintre, éd. Jean-Michel Place, 1999), « prépare son matériel, 5 ou 6 feuilles de grand papier (100 sur 70) dans un double contreplaqué, 10 crayons taillés au cutter », et part marcher une dizaine de km dans la nature, par les chemins, les bois, les champs, dans la brume, sous la pluie ou le soleil levant.

Puis soudain il s’arrête, il s’assied à même le sol, à cette heure-là toujours humide, il pose sur ses jambes allongées le contreplaqué qui lui sert de table portative et il commence à dessiner. Mais pourquoi s’est-il arrêté, et devant quel paysage, quel ciel, quel oiseau, quelle feuille d’herbe, pour emprunter un titre de Walt Whitman ?

« C’est comme si je jetais un filet de pêche »…

Qu’est-ce qui vous fait jeter ce filet ? lui demande Madeleine Renouard.

« J’ai le sentiment de quelque chose que je suis seul à voir », qui « se détache du paysage comme un double, un dessin à faire et que ma main élabore »… « Mon regard va vers quelque chose de natif, une source originelle. »

Michel Mousseau. Territoire des origines, cent trois dessins

Michel Mousseau

Se pose alors une deuxième question : comment le peintre travaille-t-il ?

Une fois le crayon saisi, la main ne se lève plus du papier, elle va et vient, insiste et tourne, appuyée ou légère, déterminée toujours, sans une rature, un repentir. Auparavant, le peintre n’a pas réalisé de croquis, ni même d’ébauche. Chaque dessin est une naissance, un émerveillement, renouvelé dans le suspens et dans l’urgence. « Je repars à zéro tous les matins […], je travaille toujours en continu, je ne reprends jamais ce que j’ai laissé en chantier la veille, l’avant-veille. Ce que je reprends, c’est la même chose sur une autre toile. »

L’important, pour lui, c’est la capacité d’attente, d’attention totale à ce qui peut et va advenir, de sorte que « l’insu, l’inconnu se manifeste dans la différence infime du même ».

La troisième question concerne les dessins eux-mêmes : que représentent-ils ? Disons d’abord qu’on est frappé à la fois par leur unité et par leur diversité. Ils sont parfois très noirs, très denses, ou au contraire à peine grisés, pareils à des vapeurs, tantôt tendres et tantôt durs, abstraits mais pas complètement.

On peut y voir (ou croire y voir) : de l’herbe enchevêtrée, des massifs de guerriers lances dressées contre le ciel, des tournoiements fiévreux, des nuages, des poussières, des averses qui tombent, les boules de suif d’un ramoneur ou des trous de lumière. Parfois, des taches blanches les parsèment, des traînées de crayon les prolongent dans les marges. « Je procède, déclare-t-il, à une sorte d’épuisement du lieu » ; « C’est dans le réel que je suis ».

Le peintre, dit-il encore, a pénétré dans le dessin et « se voit dans le monde qu’il peint ». Quant à l’observateur, à celui qui regarde, il s’est mis à la place du peintre, c’est-à-dire au cœur d’un monde que le dessin a rassemblé et concentré. Une fascinante interversion, un triple rôle pour l’artiste : peintre, acteur, et spectateur de son ouvrage.

Michel Mousseau aime les mots pour décrire sa pratique quand le travail est achevé, il les manie avec talent, précision, et une vraie sensibilité à la poésie. Sa peinture, présente à Paris à la galerie Virgile Legrand, a très souvent été exposée en France et dans de nombreux pays du monde. Créateur de décors de théâtre (pour Thomas Bernhard, Roland Dubillard, Robert Pinget, Marina Tsvetaeva), auteur des affiches du Marché de la Poésie, c’est un artiste habité par sa passion de peindre, que la découverte de Cézanne a un jour révélé à lui-même. Et habité aussi par sa passion de vivre : « J’aime le frottement des gens, des arbres, de la mer… J’ai besoin des autres ».


Toutes les citations sont extraites de l’ouvrage cité plus haut, Le métier de peintre, en collaboration avec Madeleine Renouard.

Tous les articles du numéro 78 d’En attendant Nadeau