En pays étranger

Témoignage en forme d’essai sur l’expérience homosexuelle, le dernier livre de William Marx ne se préoccupe pas de construire une théorie.


William Marx, Un savoir gai. Minuit, 176 p., 15 €


Lire Un savoir gai réclame donc de ne pas y traquer une doctrine. William Marx y affirme d’ailleurs sa « répugnance à fixer des conduites, dessiner des cadres, construire des théories ». Écoutons-le s’adressant à lui-même pour dire une existence façonnée par le désir de ceux de son sexe. Des passages autobiographiques s’entrelacent de la sorte à des analyses esthétiques et sociales, formant une écriture de l’aller-retour, tantôt narrative tantôt réflexive. Devant beaucoup à Barthes, elle se distribue en une typologie par ordre alphabétique, allant de « Désastre » à « Taille ». Ainsi, la belle partie intitulée « Refuges » célèbre la force émancipatrice des humanités classiques pour un adolescent homosexuel : « Quand Homère, Pindare, Sophocle, Platon, Virgile, Pétrone, Martial, Apulée montent à la barre pour te défendre, tu n’as plus rien à craindre : te voici paré pour la vie. » Hommage à la littérature et à l’art comme solutions à l’ostracisme, l’ouvrage émeut.

William Marx, Un savoir gai

William Marx © Alexandre Gefen

Ici, pas d’entreprise raisonnée de définition d’une psyché ou d’une culture gaie mais plutôt un enseignement : l’expérience de l’homosexualité produit un regard en biais sur la société, celle-ci étant régie par des codes hétérosexuels. Cette appréhension du monde, c’est le « savoir gai ». Séduisante, la proposition soulève plusieurs difficultés. D’abord, le seul désir sexuel organise-t-il un corps social et un individu ? À voir. Sous cet angle, l’essentialisme guette moins qu’une propension à réduire l’identité à l’orientation sexuelle. Le propos n’aurait rien perdu à prendre en compte les dimensions sociale, ethnique, culturelle, etc. Autre point : se trouver en minorité suffit-il pour disposer d’un « savoir » spécifique ? À ce compte-là, toute minorité pourrait s’en prévaloir. Comme s’il s’attendait à cette remarque, William Marx remarque cependant : « La plupart des minorités sont déjà constituées en communautés », alors qu’« un gai naît dans une famille non gaie, parfois hostile à sa propre existence, et dont la haine se découvrira à lui brusquement – ou peu à peu. Le voici plongé en milieu étranger comme dans un cauchemar ». En « milieu étranger » ? L’auteur insiste : « Être gai, c’est vivre par principe dans un monde qui t’est étranger. »

William Marx, Un savoir gai

Une telle constance du propos éclaire le projet formel de l’auteur. Récit subjectif mais non fictionnel, essai se passant de théorie, Un savoir gai est en réalité un récit de voyage. Et le narrateur homosexuel chemine clandestinement à travers ce pays où il ne se reconnaît pas. Nommons-le l’Hétérosexualistan. Comme souvent dans un récit de voyage, le narrateur a la tentation de généraliser. Ce n’est pas là qu’il excelle : « Le monde hétérosexuel restreint ordinairement l’usage de la caresse à la fonction de préliminaire avant pénétration. » Et pourtant, quoi que l’on pense de certaines conclusions, la relation de ce périple peut se révéler profitable. Ne serait-ce que par la sincérité et l’élégance avec lesquelles le voyageur a relaté ses joies et ses souffrances pour mieux se connaître.

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