Penser la mémoire, c’est dialoguer. En penser l’épaisseur, les enjeux, la complexité, consiste à réfléchir des rapports au monde, les investir. Plurielles fait entrer en dialogue les religions, les cultures, les champs du savoir. La passionnante Mémoires en jeu, revue bilingue français-anglais, s’emploie à penser la « mémorialisation immédiate » dans une société européenne qui peine à penser ce qui lui arrive.
Plurielles, n° 20
Le vingtième numéro de la revue Plurielles est placé sous le signe du dialogue, « signe d’un optimisme entêté », écrit Izio Rosenman dans son éditorial. Les contributions de ce numéro abordent le dialogue entre les religions et les cultures, mais aussi entre les bourreaux et les victimes, accordant de fait une place primordiale à celui qui reçoit le témoignage, qui l’entend et le fait sien. Il y est aussi question de la possibilité « Du dialogue avec les nazis », dans une analyse de ce face-à-face redoutable et souvent galvaudé que fait Jean-Yves Potel, à travers plusieurs exemples remarquables.
La dimension politique du dialogue est centrale, et l’entretien avec Brigitte Stora mené par Philippe Zard en est un exemple frappant, mais on n’oubliera pas la question intime du dialogue dans l’approche psychanalytique. À cet égard, les contributions de Gérard Haddad et d’Hélène Oppenheim-Gluckman sont particulièrement enrichissantes. Daniel Oppenheim livre une leçon éclairante et malheureusement fort utile sur les « Façons de dialoguer avec les adolescents au sujet du terrorisme ».
La littérature n’est pas en reste et nous serons heureux de lire les belles analyses offertes aussi par Daniel Oppenheim sur Le Livre de l’Hospitalité d’Edmond Jabès, celles de Cécile Rousselet sur Vie et Destin de Vassili Grossman, ou encore celles d’Anny Dayan Rosenman : « Répondre à la puissante voix des morts. Le dialogue dans l’œuvre d’Elie Wiesel ». Les réflexions élaborées dans ce vingtième numéro de Plurielles sont riches de toutes les possibilités qu’il y a de nouer un dialogue, malgré les murs érigés par l’Histoire. La force du fantasme et du symbole accule chacun à un effort démesuré pour passer au-dessus, pour amorcer l’indispensable dialogue. G. N.
Le n° 20 de Plurielles est disponible (20 €) en librairie ou auprès de l’Association pour un judaïsme humaniste et laïque ajhl@ajhl.org
Mémoires en jeu, n° 4
Le numéro 4 de la revue bilingue (français-anglais) Mémoires en jeu (Memories at Stake), paru à la fin du mois de septembre, propose un excellent dossier intitulé « Mémorialisations immédiates », passionnant par la richesse et la variété des angles de vue, et par la qualité des analyses qui y sont présentées. On peut tout autant réfléchir aux conséquences à l’école après l’attentat de Charlie Hebdo qu’à la représentation dans la BD des attentats du 11 septembre 2001 et du 13 novembre 2015, ou qu’au rôle octroyé aux objets à Nice après l’attentat du 14 juillet 2016, « entre affliction et kitsch ». Le travail sur la mémorialisation immédiate de la violence dans des sociétés pacifiées, en l’occurrence l’Europe, l’extension du « présentisme » dans les formes diverses que prend le rapport à la mémoire d’événements qui viennent de se passer, l’écheveau des différentes manifestations de cette mémoire, sont des appels à une réflexion désormais incontournable. Et c’est le mérite de ce dossier d’ouvrir et de nourrir cette réflexion.
Mémoires en jeu rassemble une quarantaine d’universitaires et d’acteurs du monde culturel. En réfléchissant aux questions de mémoire et de témoignage, elle couvre de nombreux domaines de recherche et de nombreux champs culturels. Pas de limite de genres ou de disciplines pour cette revue à la fois ouverte et exigeante, au contenu scientifique rigoureux et attrayant, et au travail iconographique très soigné. On appréciera de voir abordés différents domaines culturels dans des critiques avisées : littérature, cinéma, opéra, théâtre, bande dessinée, de lire des comptes rendus de colloques, synthétiques et fort utiles, de réfléchir, grâce aux nombreuses photographies, toujours documentées, aux rapports entre lieux et mémoires, mais aussi d’entendre des voix importantes dans ces débats sur la mémoire ; dans ce numéro, un long entretien avec Ivan Jablonka, par exemple.
Mémoires en jeu est une revue critique interdisciplinaire et multiculturelle qui dépasse les frontières européennes ; signalons l’article sur le procès de Iouri Dimitriev, ou celui sur les rapports entre le Saint-Siège et le Rwanda. Réjouissons-nous de l’énergie qui se dégage de cette revue de référence pour quiconque s’intéresse aujourd’hui à la question des mémoires, de la qualité de ses dossiers (le numéro précédent, « Tourisme mémoriel – La face sombre de la terre », était tout aussi intéressant) et de la richesse de ses analyses. G. N.