La logique du chaos

Le dernier livre d’Alain Joubert, La clé est sur la porte, vient de paraître aux éditions Maurice Nadeau. L’auteur y réinterroge les grandes idées-forces du surréalisme – le rêve, le désir, l’amour, la liberté, l’érotisme, le hasard, l’utopie, la révolte, l’humour, l’inconscient, l’écriture automatique… – et les confronte aux autres mouvements contemporains, tels que le situationnisme, et à certains aspects des sciences, tout particulièrement la mécanique quantique, dans une perspective « qui se veut essentiellement poétique ».


Alain Joubert, La clé est sur la porte, éditions Maurice Nadeau, 256 p., 19 €.


Ceux qui ont rencontré sur leur route le surréalisme, et surtout ceux qui ont connu André Breton, en ont souvent conservé une empreinte indélébile. Cette rencontre a changé toute leur vie, et ce fut pour beaucoup d’entre eux comme une nouvelle naissance, un nouvel élan alliant un regard critique à une sorte de grâce que l’on peut appeler poésie, pour peu qu’on veuille bien redonner à ce mot tout son sens, tellement galvaudé aujourd’hui. Alain Joubert est l’un de ceux-là.

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Plutôt que de chercher à dépasser dialectiquement des approches qui ne s’opposent qu’en apparence, comme celles par exemple de Breton et de Bataille, il les rassemble dans une harmonie des contraires, ce qu’il appelle une « complémentarité contradictoire ». Il fait de cette notion le moteur de toute pensée véritable, et même de l’Histoire. Le but que s’assigne Joubert n’est rien moins que la refonte radicale de l’entendement humain en s’appuyant sur l’analogie universelle (« une logique du chaos »), « l’utopie-critique » et l’art du détournement/retournement naguère mis en pratique par Marcel Duchamp. Ce faisant, il s’inscrit dans une sorte de géographie mentale qu’il appelle « le Grand Surréalisme » et dialogue au présent dans une « quatrième dimension de l’esprit » avec les grands disparus, Breton, Bataille, Sade, Freud, Fourier, Rimbaud, Nietzsche, et quelques autres, dont des contemporains tels que Jacques Abeille, Claude Lucas et Annie Le Brun.

Comme toute pensée qui se risque, son livre incite au dialogue certes, mais aussi à la méditation et à la controverse. Car Alain Joubert n’est pas un homme des certitudes qui, dit-il, « procèdent toujours du dogmatisme ». Comme il l’écrit lui-même, « le concept d’utopie-critique doit être envisagé à deux niveaux différents : d’une part, il s’agit de se servir de l’utopie comme moyen critique de l’état actuel du monde et de la société ; d’autre part, il faut pratiquer la critique de l’utopie dans le moment même où on la pense, dans le mouvement de l’esprit qui l’accompagne, afin de ne jamais se leurrer quant aux chances de réalisation qu’elle recèle. Dans les deux cas, la lucidité doit mener le jeu, le champ du possible ne devant jamais s’ouvrir sur l’illusion, mais toujours sur la perspective. Méfions-nous des certitudes, tout en affirmant nos convictions ».

Joubert sait que de toute façon « l’homme est une question sans réponse ». Il attend de ses lecteurs une lecture active, susceptible de mettre en œuvre une dynamique des contradictions qui est seule capable de vivifier la pensée, de la tenir en alerte. Écrire est pour lui un acte de résistance et d’insurrection. Par ailleurs, son livre est superbement illustré par des œuvres singulières d’artistes connus et moins connus qui ont entretenu ou entretiennent avec le surréalisme un voisinage mental indéniable.


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