Thomas Clerc, auteur de Poeasy, Cave ou Paris, musée du XXIe siècle, est un écrivain qui aime les expériences et interroge les espaces. Ses textes questionnent notre rapport au monde. Il imagine tous les problèmes que posent les frontières occidentales et maritimes d’un bien étrange pays.
La façade maritime du pays se trouve à l’Ouest. À vrai dire, l’Ouest du pays est entièrement constitué de cette façade maritime, qui forme donc une frontière naturelle. La frontière orientale, nous n’en parlerons pas. Concentrons-nous sur cette mer et la ligne de côte. L’Ouest est océanique, mais il ne s’agit pas ici d’océan, il s’agit de mer, une mer chaude qui s’étend sur un grand nombre de kilomètres. Il y a d’ailleurs un léger désaccord entre les géographes pour déterminer la longueur exacte de la côte ; selon les clubs de géographie auxquels on appartient, le décompte kilométrique n’est pas le même ; c’est d’autant plus étonnant que le pays est petit ; c’est comme si le calcul était soumis à un double standard qui sème la confusion parmi les habitants. C’est la mer qui les réunit, bien qu’il y ait aussi des problèmes complexes de délimitation des eaux territoriales et des eaux étrangères.
L’Ouest est naturellement plus aéré que le reste du pays, en raison de cette prééminence de la mer et par conséquent du vent. Celui-ci, printanier dans nos régions, se crée par changement de température entre les deux zones terrestre et maritime. L’Ouest est toujours venteux parce que la mer est là, avec son énorme masse calorifique qui vient pénétrer furieusement la terre et sa non moins énorme masse calorifique. Ces chocs entre mer et terre provoquent un vent qui est parfois très fort en été : on appelle « vent estival » cette période où il se met à souffler si chaudement qu’on ne peut plus mettre le nez dehors – il faut alors se carapater chez soi où il fait plus frais, notamment lorsqu’on a la climatisation. Il est cependant avéré que 48 % des habitants n’ont pas encore de climatisation, un droit qui est chèrement disputé par les citoyens de l’État qui seul peut attribuer les climatiseurs.

Le problème de l’Ouest de ce pays est, si l’on peut dire, un problème occidental. Car la mer offre deux solutions également ambiguës : l’une qui consiste à quitter le territoire par la mer (mouvement exogène occidental repéré légal), l’autre qui consiste à arriver par la mer (mouvement exogène oriental repéré illégal). Comme rien n’est simple dans ce pays du fait de la coprésence d’éléments orientaux et occidentaux, le fait de le quitter par la mer n’est toléré qu’à la condition préalable de s’être inscrit sur le site croisière-de-surive (je traduis en français, il est donc possible qu’il demeure quelques erreurs car je n’ai pu accéder au site officiel qu’à la condition préalable de m’être enregistré sur le site citizen de l’exogénie occidentale repérée légale). Si on veut partir, on peut aussi prendre un canot mais les risques sont grands ; il n’est pas rare de croiser des canots crevés dans l’eau. L’autre option maritime qui consiste à arriver par la mer étant plus ou moins illégale, l’arrivée d’embarcations pleines de gens désireux d’accoster suscite diverses réactions de la part des garde-côtes. Il est parfois difficile de distinguer les canots de ceux qui sont partis des canots de ceux qui essaient d’entrer sur le territoire. On n’est d’ailleurs jamais à l’abri d’une attaque.
La côte présente un paysage varié malgré la présence uniforme de la mer. Sur certaines portions, c’est le désert absolu, qui fait face à l’autre désert, oriental, septentrional et méridional du pays : de larges bandes de rochers, à la végétation malingre, se déploient, peuplées de mouettes, donnant l’impression d’une côte sauvage. Quelques pylônes se dressent çà et là, pourvus de lampes puissantes et font office de phares. Il existe aussi bien sûr de nombreux complexes d’habitation qui, sur d’autres parties de la côte, s’étendent à perte de vue, grands ensembles construits d’une trentaine d’étages et pourvus du luxe dernier cri, avec vue sur la mer pour les plus chanceux et sur les structures d’accueil pour les autres. Quant à la mer, de la beauté de laquelle on discute encore, ses couleurs se déclinent du vert treillis au bleu pétrole, qui n’est pas éloigné du noir total.
Thomas Clerc est écrivain. Dernier ouvrage paru : Paris, musée du XXIe siècle. Le dix-huitième arrondissement (Minuit, 2024).