Un dinosaure en vadrouille

Le livre du paléontologue Jean-Michel Mazin, Ballades dinosauriennes, ne propose pas vraiment des ballades (poèmes), mais plutôt des balades (des promenades scientifiques à travers la France). De même, il subsiste, heureusement ce n’est qu’en fin de volume, des preuves gênantes que l’auteur (ou quelque arrangeur mal contrôlé ?) confond allègrement l’imparfait avec le passé simple. Écrire un français correct est une longue patience. Mais enfin ne chicanons pas, l’ensemble mérite tout de même la lecture.


Jean-Michel Mazin, Ballades dinosauriennes. José Corti, 207 p., 18 €


Nous voici donc dans le Jura, à Loulle, entre Champagnole et Lons-le-Saunier. Là fut mis au jour, en 2006, dans une ancienne carrière de moellons calcaires, un lacis de pistes de dinosaures, 18 de sauropodes quadrupèdes, 6 de carnivores bipèdes. Un peu plus au sud, toujours dans ces années 2000, un programme d’archéologie, ou plutôt dans ce cas de paléontologie préventive engagé en marge des travaux de l’autoroute A16, a permis de restaurer les traces d’une vadrouille sensationnelle, celle d’un autre sauropode géant, un Titanosaure de 40 tonnes qui a laissé dans la glaise, sur 155 mètres, 115 empreintes de pieds mesurant chacun plus d’un mètre de long.

Tout ancien enfant qui a fébrilement remué des tas de cailloux afin d’en extraire de banals cérithes, bien plus jeunes que les 150 millions d’années de telles merveilles, sent un frémissement d’envie lui rebrousser le poil en rêvant aux exclamations qu’ont dû pousser les fouilleurs : un ! deux ! trois ! que dis-je ? cent quinze creux imprimés par ces énormes pattes, « la plus longue piste de dinosaure sauropode connue au monde » !

Or la quasi-totalité de ce livre allègre, plaisant et dépourvu de prétention académique est consacrée au quotidien de ces fouilleurs très majoritairement bénévoles qui, sous l’autorité non despotique de Jean-Michel Mazin, directeur de recherche au CNRS, prospectent, balisent, émiettent et passent au peigne fin des kilos de pierres, ou bien gorgent d’eau, rincent, tamisent une boue de dépôts antiques lourde et collante, parcourant grâce à ce labeur répétitif les strates marneuses et en extirpant (parfois) des vestiges animaux enfouis qui racontent l’histoire de nos origines.

Ballades dinosauriennes de Jean-Michel Mazin : dinosaure en vadrouille

Musée de Toronto, Canada © Jean-Luc Bertini

Tâche formidablement exaltante, dont un narrateur en verve détaille tant les obligations routinières que les moments jubilatoires. Son ambition première consiste à restituer au plus près du vécu l’atmosphère particulière, rarement conflictuelle, souvent festive, de ces chantiers à ciel ouvert où se pressent surtout des jeunes gens des deux sexes passionnés et heureux de se rendre utiles. Faune sympathique qu’il s’agit de loger, de nourrir, d’encadrer dans ses enthousiasmes, ses rêveries, ses amours.

Le chef de chantier se doit d’être un organisateur. Il gère les ressources vivrières et financières, surveille la popote, négocie avec les propriétaires de terrains, les autorités administratives locales (le plus souvent bienveillantes), participe naturellement aux fouilles en anticipant les bévues et les gestes maladroits qu’il s’agit de corriger ou d’éviter sans blesser. Puis il s’octroie de jouir comme les autres du travail de nuit sous des cieux immenses (les coins explorés sont situés en général loin de toute urbanisation trop dense), ce qui nous vaut des pages touchantes et presque lyriques, pleines d’un sentiment juste des beautés de la nature.

On trouvera aussi dans ce petit volume une introduction bienvenue (les 34 premières pages) qui résume la théorie de l’évolution depuis l’apparition du vivant jusqu’à la sortie des premiers vertébrés de l’océan vers 360 millions d’années avant notre ère (à partir de cette date s’ouvre le domaine de compétence de Jean-Michel Mazin, qui ne se présente donc pas comme un paléontologue des tout premiers commencements, vers 3,8 milliards d’années).

Cette mise au point modeste et utile ne s’appuie que sur les seules vérités établies par la recherche scientifique. Elle réduit ainsi à un jeu de construction sans fondement les élucubrations des tenants du « dessein intelligent » et autres chansonnettes, ce qui, en ces temps de bavardage sournoisement mystique et de relativisme exacerbé, fait chaud aux tripes.


Charles Frankel racontait l’extinction des dinosaures dans Extinctions. Du dinosaure à l’homme.

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