Dans À rebours (1884), retiré à Fontenay-aux-Roses, Des Esseintes construisait un musée et une bibliothèque. 2019-2020, année Huysmans? Ici une Pléiade pour Des Esseintes. Là, une exposition au musée d’Orsay. Et des écrits complets sur l’art aux éditions Bartillat. Et un Cahier de L’Herne de 1985, réédité et augmenté. Des deux cotés, on retrouve les trois Huysmans : naturalisme, décadence, conversion, art moderne (Degas), religion de l’art (Moreau), art chrétien (Grünewald).
Joris-Karl Huysmans, Le drageoir aux épices suivi de Croquis parisiens. Édition de Jean-Paul Bertrand. Poésie/Gallimard, 288 p., 9,30 €
Romans et nouvelles. Édition publiée sous la direction d’André Guyaux et Pierre Jourde. Gallimard, coll. « Bibliothèque de La Pléiade », 1 856 p., 73 € (66 € jusqu’au 20 mars 2020)
À rebours. Édition d’André Guyaux et Stéphane Guéguan. Gallimard-Musée d’Orsay, 256 p., 35 €
Huysmans critique d’art. De Degas à Grünewald. Gallimard-Musée d’Orsay, 228 p., 35 €
Écrits sur l’art, 1867-1905. Édition établie par Patrick Locmant. Bartillat, 600 p., 40 €
Cahier de L’Herne Huysmans. Sous la direction de Pierre Brunel et André Guyaux. L’Herne, 466 p., 29 €
Rêveries d’un croyant grincheux. L’Herne, 120 p., 6,50 €
Notre-Dame de Paris. L’Herne, 110 p., 6,50 €
Au centre de l’œuvre et entre littérature et art, À rebours, en 1884, qu’encadrent À vau-l’eau et En rade (une trilogie, dit Marc Fumaroli), coïncide avec 1885, année de la mort de Victor Hugo (Dieu devenu vers) et de la Crise de vers diagnostiquée par Mallarmé, du début de la « vieillesse d’Alexandre », qui explosera dans cent directions dont le Coup de dés de 1898. À rebours, « grenade » ou « aérolithe dans le champ de foire littéraire » selon l’auteur lui-même, À rebours, qui pourrait être le titre de l’œuvre entière de ce « sous-chef de bureau à la direction de la Sureté générale », peu sorti – hormis quelques voyages en Flandre – des parages de la place Saint-Sulpice et de « la rive gauche » que raconte Remy de Gourmont dans ses Promenades littéraires. Et le livre d’une conversion qui ne se réduit pas à celle de l’auteur au catholicisme.
Je me souviens de la merveilleuse série en 10-18, « Fins de siècle », d’Hubert Juin : j’y ai découvert Huysmans. Je me rappelle Soumission de « son vrai ami » Houellebecq (2015) qui semble avoir suggéré la Pléiade et Orsay. Aujourd’hui, ni la Pléiade ni Orsay ne sont d’une grande utilité. Dans la Pléiade, l’œuvre est amputée de sa moitié (la critique d’art, dont elle est indissociable : c’est elle qui tire le romancier), de son début et de sa fin. Pourquoi un seul volume (qui contient dix titres) et non deux ? Manquent : le début, qui contient tout – Le drageoir aux épices et les Croquis parisiens –, et la fin, qui reprend tout – les deux derniers romans de la tétralogie Durtal, La cathédrale (récemment repris dans la collection « Folio classique ») et L’oblat. Et Sainte Lydwine de Schiedam et Les foules de Lourdes. L’édition Bartillat est maladroitement exhaustive en ne tenant pas compte des trois recueils établis par l’auteur lui-même : L’art moderne (1883), Certains (1889), Trois primitifs (1905) ; elle en dissout la violence polémique. Il faut les lire sur le remarquable site américain huysmans.org. À Orsay, enfin, la catastrophe est totale: l’art est « mis en musique », emballé dans une opération publicitaire kitsch des bijoux Bulgari (LVMH) par « l’artiste » Francesco Vezzoli qui assume une confusion Huysmans-D’Annunzio et, au prétexte de la tortue d’À rebours, a fabriqué un grotesque bijou, Tortue de soirée. Catastrophe aussi si on la compare à Degas et l’opéra juste en face – Degas, le « peintre de la vie moderne de Huysmans » – et à Fénéon et ses peintres à l’Orangerie. Il faudra attendre le 3 avril prochain pour une version plus informée et plus complète de l’exposition au Musée d’art moderne et contemporain de Strasbourg : L’œil de Huysmans : Manet, Degas, Moreau… (440 œuvres et objets, entre cabinet de curiosités et musée imaginaire), composée par Estelle Pietrzik avec Robert Kopp.
De Baudelaire au célibataire
Disciple absolu de Baudelaire, Joris-Karl Huysmans (1848-1907) est le contemporain presque exact de Stéphane Mallarmé (1842-1898). Leurs vies se déroulent de la révolution de 1848 à la séparation des Églises et de l’État en 1905. « Au fond, je considère l’époque contemporaine comme un interrègne pour le poète, qui n’a point à s’y mêler », dit l’autobiographie de l’un adressée à Verlaine en 1885. Interrègne: Huysmans part de la mort littéraire de Dieu (Le drageoir aux épices, 1874), ouverte en France par la Révolution, pour finir dans sa restauration médiévale (La cathédrale, L’oblat) dans les deux sens du mot, Victor Hugo et Viollet-le-Duc. IIIe République des lettres. Dieu est mort, revenons au Génie du christianisme. La mort de Dieu, ce n’est pas seulement, en effet, la question de savoir si tout est permis, mais celle du corps du monde que Dieu reliait. Et du corps de la bibliothèque, d’où ces genres littéraires tous enchevêtrés, d’où cette écriture ou le style – le corps – du « brillant métèque » (Henri Brémond) soulève la langue, du latin d’église au surargot, d’où ces néologismes qui disent la « vie », l’obsession de la « luxure » doublée d’un rapport érotique au langage. Hetzel refusa son premier livre, racontera plus tard Huysmans à Edmond de Goncourt, parce qu’il craignait qu’il ne « recommence la Commune de Paris dans la langue française ». « Il s’est fait une langue troublante et étrangement contournée, dans laquelle les mots se décomposent, purulent et parfois brillent d’un anormal éclat », écrira Bernard Lazare en 1895. Dieu « tenait tout », toutes les « représentations », qui va tenir la « volonté » ? Autrement dit, il faut lire Huysmans dans une durée qui va de Balzac à Claudel et Péguy, versus Jarry (La passion considérée comme course de côte) et Apollinaire (Zone). Face aux Quatre Évangiles de Zola. Dans L’Herne, une allocution de François Mauriac de 1957 en témoigne, en chrétien.
Au chapitre XII d’À rebours, Huysmans célèbre Baudelaire, sa « langue musculeuse et charnue qui plus que toute autre possédait cette merveilleuse puissance ». « On sent sa présence, comme une chaleur » derrière Huysmans, écrit Barbey d’Aurevilly. Il est l’héritier des deux : le critique des Salons (plutôt antimoderne) et le poète du Spleen de Paris (moderne), des contradictions intimes qu’Antoine Compagnon a analysées. Un héritier, qui plus est, parfois « à rebours ». En art, l’antimoderne déplore la photographie due au « mauvais Messie » Daguerre : si elle ne reste pas servante de la peinture, elle tuera l’art et détruira le platonisme comme la démocratie de 1789 a détrôné Dieu. « L’amour de l’obscénité, qui est aussi vivace dans le cœur naturel de l’homme que l’amour de soi-même, ne laissa pas échapper une si belle occasion de se satisfaire. » (Salon de 1859) On se souvient que Manet est le « premier dans la décrépitude de son art ». « Huysmans est un œil », dira encore Gourmont. L’année de la disparition de Baudelaire (1867), Huysmans commence par la critique d’art, et c’est justement à l’obscénité qu’il se voue. Certes, la photographie est absente chez Huysmans, mais elle est comme remplacée par la peinture flamande : « De père en fils tout le monde a peint dans cette famille qui compte parmi ses ancêtres Cornelius Huysmans dont les tableaux figurent au Louvre » – ils seront ensuite à Strasbourg. Mais je dirai que ces « peintres de la vie réelle » tiennent lieu de cet art irréligieux (une exception dans l’histoire, je renvoie à l’Esthétique de Hegel). Au centre de l’art moderne, Degas, Manet et Caillebotte, les « indépendants », tous trois post-photographiques dans la ligne de Courbet (Un enterrement à Ornans, de 1850, n’est-il pas l’exacte photographie peinte de la mort de Dieu ?). En 1877, dans un article célèbre, Huysmans vante, contre l’art officiel qui cumule « grand art » et art industriel, la Nana de Manet. En 1879, à propos de son artiste préféré, Edgar Degas, il écrit : « Ici point de chairs crémeuses ou lisses, point d’épiderme en baudruche et de moire mais de la vraie chair poudrée de veloutine, de la chair à maquiller de théâtre et d’alcôve ».
« La médiocrité des gens élevés dans la métairie des Beaux-Arts demeure stationnaire […] Dites-leur que le moderne fournirait tout aussi bien que l’antique le sujet d’une grande œuvre, ils restent stupéfiés et ils s’indignent. » Dans les mêmes années, en 1874, il est passé à la littérature, avec Le drageoir aux épices, salué par Théodore de Banville. Ce livre fondateur est tout à la fois issu de la peinture flamande (trois des textes sont des tableaux) et du Spleen de Paris, les poèmes en prose posthumes (1869) de Baudelaire, ici « moderne » tout autant qu’il pouvait être antimoderne dans certains Salons. Je rappelle la dédicace à Arsène Houssaye, vantant le « miracle d’une prose poétique, musicale sans rythme et sans rime, assez souple et assez heurtée pour s’adapter aux mouvements lyriques de l’âme, aux ondulations de la rêverie, aux soubresauts de la conscience. C’est surtout de la fréquentation des villes énormes, c’est du croisement de leurs innombrables rapports que naît cet idéal obsédant ». S’y invente chez Huysmans, dans le prolongement de sa critique d’art pour dire « la vie », un genre entre art pur et universel reportage qui trace loin de Mallarmé une autre voie de la « vieillesse d’Alexandre ». Que condensent par exemple des textes comme Extase ou Le poème en prose des viandes cuites au four dans les Croquis parisiens. Et qui ira, via Max Jacob, jusqu’à Francis Ponge et son proème. « Le vers est un outil si restreint, si fragile, qu’il ne semble pas pouvoir se plier aux exigences de la vie moderne », écrit-il à Théodore Hannon. Naturelle est donc l’alliance passée en 1876 avec Zola et le naturalisme. Marthe, histoire d’une fille est contemporain de L’assommoir. Suivra Les sœurs Vatard. Puis le grand roman célibataire En ménage que Huysmans dira son « livre favori » (avec son chapitre VI sur la « crise juponnière »). « Naturalisme et coït for ever », proclame une lettre à Théodore Hannon en 1878. Ils vont être interrompus par l’auteur.
Bouvard et Pécuchet, Des Esseintes
Le roman suivant, À vau-l’eau, marque la sortie exacerbée du naturalisme par le spleen. « Schopenhauer a raison, se dit-il, la vie de l’homme oscille comme un pendule entre la douleur et l’ennui […] mal m’en a pris de quitter un mauvais restaurant pour en parcourir de non moins mauvais […]. Le plus simple est encore de rentrer à la vieille gargote […] seul, le pire arrive ». Schopenhauer ? Un peu pour Huysmans le nom propre de la mort de Dieu. Folantin, l’Ulysse des gargotes (Maupassant), est frère de « l’homme du sous sol » de Dostoïevski et du « dernier homme » de Nietzsche. Folantin, fonctionnaire et célibataire, erre de restaurant en cantine, refuse même la « crise juponnière ». Au chapitre III, il fait au restaurant la rencontre de monsieur Martinet, qui tente de l’y entrainer. Les deux personnages semblent inspirés de Bouvard et Pécuchet, qui, posthume, a paru en 1881. Dans la postface pour À rebours, Huysmans confesse plus secrètement que, sous le magistère de Zola, c’est avec Flaubert (L’éducation sentimentale) qu’il se sentait des affinités. « Cet À rebours, que j’admirais alors peut-être à l’excès, est resté pour moi un des livres les plus curieux de notre temps et qui vient dans son genre à la suite de Bouvard et Pécuchet », dit justement Remy de Gourmont. Chavignolles avant Fontenay, par le bas, par le haut. Folantin devient Des Esseintes comme il deviendra Durtal. Là ou Flaubert expérimente la mort de la bibliothèque dans l’existence, Huysmans bifurque vers l’essence dans la ligne de La tentation de saint Antoine, de Salammbô (Des Esseintes : saintes essences, philosophie et parfums, essence des seins, dessein – dessin). Et prépare la conversion. En 1882, ayant abandonné et Courbet et Manet devenus artistes trop officiels, il se dirige vers Odilon Redon, Gustave Moreau et Félicien Rops, aux antipodes des « indépendants ». Qui va tenir la vie, la volonté schopenhauerienne, qui bouscule les représentations ?
« De toutes les formes de la littérature, celle du poème en prose était la forme préférée de des Esseintes. Maniée par un alchimiste de génie, elle devait, suivant lui, renfermer dans son petit volume, à l’état d’of meat, la puissance du roman dont elle supprimait les longueurs analytiques et les superfétations descriptives. Bien souvent, des Esseintes avait médité sur cet inquiétant problème, écrire un roman concentré en quelques phrases qui contiendraient le suc cohobé des centaines de pages toujours employées à établir le milieu, à dessiner les caractères, à entasser à l’appui les observations et les menus faits. […] En un mot, le poème en prose représentait, pour des Esseintes, le suc concret, l’osmazome de la littérature, l’huile essentielle de l’art. Cette succulence développée et réduite en une goutte, elle existait déjà chez Baudelaire, et aussi dans ces poèmes de Mallarmé qu’il humait avec une si profonde joie », écrit Huysmans dans À rebours qui est à proprement parler un roman-poème en prose comme les Divagations (Prose pour des Esseintes, écrit Mallarmé en remerciement). Tous les genres y sont concentrés, convertis, désormais aux antipodes du Drageoir aux épices. Trois chapitres (III, XII, XIV) pensent et classent la bibliothèque latine et contemporaine qui jouxte le musée. « L’artifice paraissait à Des Esseintes la marque distinctive du génie de l’homme. Comme il le disait, la nature a fait son temps ». « Anywhere out of the world »: arche de Noé et cabinet de curiosités. Des Esseintes rassemble femmes, fleurs, parfums artificiels. Dernière phrase du roman : « Seigneur, prenez pitié du chrétien qui doute, de l’incrédule qui voudrait croire, du forçat de la vie qui s’embarque seul, dans la nuit, sous un firmament que n’éclairent plus les consolants fanaux du vieil espoir ! »
Le 28 juillet 1884, Barbey d’Aurevilly, « un étalon » dit Huysmans, use pour l’auteur d’À rebours de la formule qu’il avait utilisée pour Les fleurs du mal : « Après un tel livre, il ne reste plus à l’auteur qu’à choisir entre la bouche d’un pistolet ou les pieds de la croix. » Symétrique du Paris et des restaurants d’À vau-l’eau, En rade achève à la campagne et dans le rêve l’adieu au naturalisme. Puis vient la tétralogie Durtal, des pieds de la croix à la crucifixion, la conversion. Non vers Dieu qui reliait (« religion ») la nature, mais vers le Christ : la Crucifixion de Grünewald, découverte en 1888, sera au cœur de Là-bas – Huysmans visitera à Colmar le retable d’Issenheim en 1903. Vers l’Église, temple de l’artifice, de l’antinature. « Ah la vraie preuve du catholicisme, c’était cet art qu’il avait fondé, cet art que nul n’a surpassé encore. » « Ce que j’ai fait dans En route pour la musique sacrée, je veux le faire pour l’architecture, pour la peinture et pour la sculpture du Moyen Âge religieux dans La cathédrale. » La cathédrale est aux hommes ce que la maison de Fontenay est à Des Esseintes. Et Chartres, la cathédrale des cathédrales. Le livre paraitra « à rebours », en 1898, l’année de « J’accuse » et de la mort de Mallarmé.
De Baudelaire au monastère
De lui, Huysmans écrit : « Il s’est converti peu à peu, lentement ». « Durtal avait cessé depuis près de deux années de fréquenter le monde des lettres […] mais prier ? Je n’en ai pas le désir ; je suis hanté par le Catholicisme, grisé par son atmosphère d’encens et de cire, je rôde autour de lui, touché jusqu’aux larmes par ses prières, pressuré jusqu’aux moelles par ses psalmodies et par ses chants ». « Que se passe-t-il dans ses livres, interrogeait Remy de Gourmont. Il se passe lui-même. » Paradoxe de Huysmans (il y en a cent) : ce sont les gloses de Huysmans sur Huysmans les plus éclairantes. D’abord l’autobiographie signée du nom de sa compagne Anna Meunier dans Hommes d’aujourd’hui en 1885 (parallèle à celle de Mallarmé) : « Cyprien Tibaille, et André, Folantin et Des Esseintes ne sont en somme qu’une seule et même personne […] cette personne est M. Huysmans cela se sent ». Les livres suivent précisément ses hésitations puis ses visites des cathédrales et ses retraites, pénitence, symbolique, liturgie : la Trappe, Ligugé. Puis sa réponse à l’enquête de Jules Huret sur l’évolution littéraire. Surtout, la « Postface écrite vingt ans après le roman en 1903 » et un an après la mort de Zola, « un artiste un peu massif mais doué de puissants poumons et de gros poings », il se remémore sa « condition d’âme », son itinéraire de Schopenhauer, « route carrossable » à l’Église. « Le naturalisme s’essoufflait à tourner la meule dans le même cercle. » Simultanément, avant et après À rebours, les romans de Huysmans sont peuplés d’artistes et d’écrivains qui organisent leurs logis, et déploient de véritables essais esthétiques comme Des Hermies instruisant le procès du naturalisme en ouverture de Là-bas : « il n’y avait plus rien de debout dans les lettres en désarroi, rien sinon un besoin de surnaturel qui à défaut d’idées plus élevées trébuchait de toutes parts comme il pouvait dans le spiritisme et dans l’occulte ». « Quand même Dieu n’existerait pas, la religion serait encore sainte et divine. » « Dieu est le seul être qui, pour régner, n’ait même pas besoin d’exister », notait Baudelaire dans ses Fusées.
« Fort heureusement les jours de la littérature psychologique à affabulation romanesque sont comptés. Je m’assure que le coup dont elle ne se relèvera pas lui a été porté par Huysmans », écrit dès 1928 André Breton dans Nadja à propos d’À rebours. En 1940, il empruntera l’humour noir – le mot et les textes – au naturaliste (En marche, En rade) mais Breton est sûrement plus Durtal qu’il ne le croit : l’atelier de la rue Fontaine, aujourd’hui partiellement reconstitué au mur du Centre Pompidou, a tout d’une église athée surréaliste réenchantant le monde : « Précieux Breton », dira Maurice Nadeau. De façon générale, on peut suivre dans la littérature française trois voies issues de Huysmans (Folantin, Des Esseintes, Durtal), parfois mêlées (bien avant Breton, Paul Valéry-Monsieur Teste, qui a fait d’À rebours son livre de chevet et prélevé « la marquise sortit à cinq heures » dans la postface du livre, écrira en 1927 un Durtal ou les points d’une conversion), parfois autonomes : je songe pêle-mêle à des titres de Gide, Larbaud, Bernanos, Duhamel, Bove, Guérin, Leiris, Bataille, Malraux, Sartre, Genet, Perec, Vian, Gainsbourg, Sollers, Quignard… Enfin, Michel Houellebecq, mi-Folantin mi-Durtal, bien avant Soumission. Ultime paradoxe de Huysmans : entière ou démembrée, son œuvre semble anticiper le XXe siècle, de tous côtés.