Des revues comme La Revue de Belles-Lettres, La Revue littéraire, Alternatives théâtrales, Les Cahiers de Tinbad ou la Revue des Sciences Humaines cartographient leur champ. À leur lecture, on conçoit à la fois la variété de leurs approches et un même attachement à la littérature.
La Revue de Belles-Lettres, 2018, 2
Autour et avec Gilles Ortlieb : ainsi s’organise le dernier numéro de La Revue de Belles-Lettres. On lira d’abord les textes de Valtinos, scénariste de Theo Angelopoulos, et écrivain traduit du grec par Ortlieb. Des récits à relire, comme si l’on sentait une marge d’erreur dans la lecture.
Deux textes inédits d’Ortlieb, poète, et promeneur : on conseille « Le sel et l’éponge ». La Camargue d’Ortlieb est aussi singulière que celle de Sylvain Prudhomme. Le portrait d’Adamov également proposé donne à espérer (une suite). Un extrait de correspondance avec Henri Thomas complète le dossier et rappelle le lien quasi filial qui a uni les deux écrivains.
Jacques Réda écrit d’Ortlieb que ce qu’il écrit est « L’inaperçu », tendant à favoriser « cette tentation du superflu » permettant de dire que rien n’est inutile. Patrick McGuiness, quant à lui, parle de « L’oetranger », entre trains et hôtels, allers et retours, « entre le transitoire et le statique ». À travers les paysages lorrains, luxembourgeois ou portugais, Gilles Ortlieb déambule, amateur de confins, comme Jean Rolin dont « Éléphant et chariot », balade dans Saint-Nazaire port de guerre et de mémoire, complète ce dossier. On appréciera les notes de lecture, et l’article plutôt polémique de Jacques Lèbre sur l’anthologie poétique d’Yves di Manno et Isabelle Garron, Un nouveau monde. Poésie en France 1960-2010. Ça picote. N. C.
La Revue de Belles-Lettres est une revue suisse qui paraît deux fois par an. Sur abonnement (56 € par an) ou en librairie. Plus d’informations en suivant ce lien.
La Revue littéraire, n° 75
La Revue littéraire, à raison de cinq numéros par an, cherche à « préserver la plus grande ouverture possible face à l’infinie variété de la littérature, de la pensée, de la création ». Une place importante est donnée à la littérature française contemporaine. Ainsi, on trouve dans le numéro 75 un entretien avec Jonathan Baranger, jeune Orléanais et auteur d’un premier roman, Chokolov City (Champ Vallon). Ainsi qu’un hommage à Clément Rosset par Aurélien Fouillet. Et des notes à propos de Philippe Barthelet, Anton Beraber, Antoine Compagnon, Pierre Guyotat, Carole Carcillo Mesrobian, Pascal Quignard, Vanessa Schneider et Julien Teyssandier, entre autres.
L’article de Henri Raczymow, « Le Succès versus la Gloire », est une méditation à travers l’histoire littéraire de cette notion (illusoire) de la gloire littéraire, où l’on voit paraître les figures de Maurice Sachs, Andy Warhol, Balzac, Pascal, Stendhal et, bien évidemment – concernant Raczymow –, Proust.
Mais les pages les plus loufoques dans ce numéro sont celles où est transcrit le deuxième volet d’une interview avec Marguerite Duras menée par un groupe de psychanalystes lacaniens, en 1994, chez elle à Neauphle-le-Château. Comme l’expliquent Jean Allouch et Catherine Millot, « confrontés à la difficulté d’attribuer chaque propos à tel ou tel des intervenants, on a choisi de s’en abstenir. Hormis celles de Marguerite Duras et de Michèle Manceaux, ces diverses interventions sont ainsi rendues anonymes et signalés par un X ». Cela donne donc sur la page une sorte de pièce de théâtre postmoderne où la moitié des répliques sont attribuées à « X », et l’autre moitié à « M.D. ».
La conversation semble tourner autour de la question du vide, où Duras nie complètement la signification du geste littéraire, prétendant que, lorsqu’on est écrivain, il n’y a aucune distinction entre les moments d’écriture et les autres instants de la vie : « Je pourrais vous parler d’un plat que je voudrais faire demain, ce serait aussi une réflexion sur ce que j’écris. Tout s’y rapporte. Quand on écrit, on le fait à tout moment. » Et plus tard : « Il y a une équivalence beaucoup plus évidente pour moi, beaucoup plus vécue entre les moments d’écriture écrits et les moments d’écriture non écrits. »
Beckett a beau être mort, La Revue littéraire est vivante ! S. S.
La Revue littéraire est dirigée depuis sa création en 2004 par Angie David avec, depuis avril 2015, Richard Millet. Publiée par les éditions Léo Scheer, elle se trouve en librairie ou sur le site de l’éditeur : . Prix : 10 €.
Alternatives théâtrales, n° 135
Alternatives théâtrales, belle revue des arts et de la scène, est éditée à Bruxelles ; mais sa direction éditoriale et son comité de rédaction en font une publication belgo-française, selon l’expression choisie par l’équipe. Sa dernière et riche livraison, en juillet 2018, est consacrée sous le titre Philoscène à « la philosophie à l’épreuve du plateau » et Sylvie Martin- Lahmani a intitulé son éditorial : « Pour l’amour de la pensée en jeu ».
Le numéro 135 s’ouvre sur deux entretiens : l’un avec Denis Guénoun, l’autre avec Alain Badiou. Le premier est une personnalité singulière dans le monde théâtral français. Il s’est à tour de rôle consacré à la philosophie et à la scène. Il a animé, entre autres, la compagnie L’Attroupement, dirigé le Centre dramatique national de Reims, avant de se tourner vers l’enseignement universitaire. Mais, ces dernières années, il combiné les deux disciplines, avec des spectacles inspirés par Platon, Spinoza, saint Augustin, interprétés par Stanislas Roquette, ici précisément interrogés, en philosophe, par Olivier Dubouclez.
Alain Badiou a écrit La Tétralogie d’Ahmed, dont le protagoniste, toujours interprété par Didier Galas, est à l’origine un travailleur immigré. Il a même joué, avec l’acteur, des extraits d’Ahmed philosophe, lors de ses séminaires au Théâtre de la Commune d’Aubervilliers, accueilli par sa directrice Marie-José Malis. Il a aussi composé un livret d’opéra ; dans l’entretien, il fait plusieurs fois référence à Antoine Vitez, qui l’avait mis en scène. Et il y témoigne d’une réjouissante confiance dans le théâtre, bien antérieure à sa proximité avec le plateau.
La suite du numéro se compose de trois parties. La première est dédiée à l’adaptation d’œuvres philosophiques et à « la théâtralité en dehors des traditionnelles formes dialoguées » ; y reviennent souvent les noms de Platon, mais aussi de Louis Althusser et d’Hannah Arendt. La deuxième partie pose la question : « Existe-t-il une manière proprement philosophique d’écrire (pour) le théâtre, la danse, la scène ? », à laquelle répond par exemple Aurélien Bellanger. Un cahier critique constitue la troisième partie où, parmi les spectacles les plus divers, était évoqué celui de Didier Galas programmé au Festival 2018, Ahmed le subtil. M. L. R.
Alternatives théâtrales se vend sur abonnement et dans les librairies spécialisées.
Les Cahiers de Tinbad, n° 6
Les Cahiers de Tinbad est une revue bi-annuelle « Art et Littérature » fondée en 2016. Créée et fabriquée par Guillaume Basquin et Jean Durançon, cette belle publication est à cheval entre le texte et l’image, donnant une place importante à la typographie et à la mise en page, quitte même à reproduire des ratures. Fidèles à l’esthétique moderniste – le titre vient d’Ulysse de James Joyce (« Sinbad the Sailor and Tinbad the Tailor ») –, les textes débordent souvent d’énergie et de lyrisme, où la signification est autant à chercher dans le rythme que dans le sens. Les collaborateurs sont polyvalents, certains d’entre eux pratiquant à la fois l’écriture et les arts plastiques, notamment Tristan Felix et Jacques Cauda.
Justement, dans le numéro 6, ce dernier publie « La couleur fait la peinture », texte illustré par des reproductions de ses propres peintures. Tandis que dans « Portraits après peinture(s) », Jean Durançon s’inspire de Montagnes imaginaires, œuvre en technique mixte sur papier de l’artiste Pierre Lehec, reproduite dans la revue, pour élaborer un poème à la forme montagneuse. S. S.
Les Cahiers de Tinbad est une revue publiée par les éditions Tinbad. On la trouve en librairie ou sur abonnement au prix de 15 €.
Revue des Sciences Humaines, n° 331
Peut-t-on entendre les médias autrement que comme un danger pour la littérature ? Telle est la question que s’est posée la Revue des Sciences Humaines dans un numéro paru sous la direction de Nathalie Piégay et Marie-Laure Rossi. Habilement intitulée « La littérature au risque des médias », la revue se propose de baliser une orientation plutôt récente des études littéraires : l’analyse de la « manière dont les médias informent la littérature » (Nathalie Piégay).
Refusant de se cantonner à un nouvel ethos de la lecture, l’originalité de cette entreprise tient à un intérêt porté aux incidences de l’ère médiatique sur l’écriture du « littéraire ». Ainsi, Lionel Ruffel diagnostique un nouvel usage de la publication au sein duquel la littérature déborde du livre pour émigrer vers des modes pluriels de circulation de l’écrit. Christophe Meurée ne dit pas autre chose quand il avance que l’entretien est utilisé par Michel Houellebecq pour prolonger son œuvre.
Yves Citton est abondamment cité, et son concept « d’économie de l’attention » demeure inspirant pour la littérature contemporaine. En parlant d’attention, cette revue a su retenir la nôtre, ce qui est essentiel. M. D.