Le cahier de géographie

Entre 1905 et 1908, à l’École normale d’Indre-et-Loire, Marc Audebert est formé à la géographie générale. Cette discipline doit plaire à ce jeune hussard noir car il lui consacre un cahier manuscrit, richement illustré.


Marc Audebert, Géographie générale. Allia, 180 p., 19 €


Il personnalise la géographie générale du programme officiel par un travail de réécriture et de dessin, élégant, minutieux et inventif. Les écoliers de Marcilly-sur-Maulne, où il exerce jusqu’à sa mobilisation, le 1er août 1914, se sont-ils souvenus, la paix retrouvée et leur maître disparu, de sa méthode et de ses exercices ?

« Ils différaient d’opinons quant à la géographie. Bouvard pensait qu’il est plus logique de débuter par la commune, Pécuchet par l’ensemble du monde. » Sous Jules Ferry, Vidal de La Blache suivit Pécuchet et détermina la marche à suivre : on commencera par la géographie générale, qui est celle de l’ordre de la nature et de ses exemples variés : la Terre, planète du système solaire, les océans et les mers, les continents, leur contact, c’est-à-dire les côtes, les montagnes les plaines et les fleuves.

L’édition de cette Géographie générale est composée de deux parties : la première est le fac-similé in extenso de ce cahier, la seconde est la version imprimée, assortie de notes et d’une postface offrant des éléments biographiques sur la courte carrière de Marc Audebert. Cette version est certes pratique mais l’écriture manuscrite de Marc Audebert est, éducation calligraphique oblige, très lisible. Le soin observé pour mettre en valeur titres et sous-titres a un charme particulier : on a le sentiment de se retrouver, un peu à l’étroit, dans le bureau de chêne massif avec l’encrier de porcelaine, en haut à droite, car un élève doit être droitier.  On ouvre son pupitre, on sort son cahier de géographie : « Le cycle de l’eau »…

Marc Audebert, Géographie générale

Paul Vidal de la Blache

Ne soyons pas inspecteur d’académie en examinant le cahier du maître, en lui faisant des observations, en lui demandant des explications. Ce contrôle institutionnel a passé la date de péremption. Retenons que le travail de M. Audebert libère la géographie scolaire d’un apprentissage de chiffres et de noms, il propose à l’élève des travaux et des observations – on parle aujourd’hui de méthode active. La classe et la cour de l’école sont des terrains d’expérience.

À l’intérieur, les élèves, comme de petits ingénieurs, construisent un manège représentant le système solaire avec son tourniquet de planètes, dont la Terre, pour comprendre la succession des saisons. À l’extérieur, un petit chantier de plein air joue au continent, sculpté par des fleuves : « Bâtissons et rebâtissons avec du sable et des cailloux. Nous connaîtrons vite et sans danger, îles, presqu’îles. » Et un dispositif propose, à l’aide d’une vaste bassine métallique remplie d’eau, de créer, grâce à une source de chaleur placée sous un côté, un courant chaud qui se déplace vers l’autre côté, sorte de Gulf Stream en chambre qui emporte de la sciure de bois.

Marc Audebert s’appuie sur une iconographie originale, celle de ses dessins, plans, coupes, cartes. Mais il envisage avec enthousiasme l’appareil à projections lumineuses. Remarquons qu’il ne s’agit pas d’une lanterne magique, l’école républicaine positive techniquement ses lumières.

Marc Audebert, Géographie générale

L’instituteur expose sa démarche en géographie : « Voyons la Terre, ses océans, ses continents, examinons la place occupée par l’Europe, par la France. Enfin apprenons à connaître notre pays. » Le particulier y est subordonné au général. Bouvard n’a plus voix au chapitre !

On est étonné et ravi de la richesse de la terminologie retenue par M. Audebert. Non pas des noms de lieux mais des termes qui désignent des phénomènes et des formes précises. La calligraphie du cahier les souligne : fjord, canyon, delta, cingle, combe, cirque, grau, atoll, etc.

Les jeunes habitants de la Gâtine tourangelle, 110 m d’altitude à Marcilly-sur-Maulne, sont invités à observer la coupe de l’Asie établie par leur maître. Des 8 840 m du Gaurishankar (il disputait encore en ce temps à l’Everest le titre de « toit du monde ») à la fosse du Japon (- 8 600 m), l’élève du doux horizon ligérien pouvait rêver quelques instants et puis solliciter Jules Verne.

Le 26 octobre 1914, le sous-lieutenant Audebert est tué près d’Ypres, il est tombé dans un polder : « Riches terres dont certains points sont au-dessous du niveau de la mer ». Le cahier s’achève page 123, titrée « Le rôle des glaciers », et dépourvue de texte. Cette suspension montre que la blouse grise a cédé à l’uniforme au pantalon garance.

Louis Pergaud, tué le 8 avril 1915, avait « appendu la carte Vidal-Lablache » dans la salle de classe de La guerre des boutons. Le cahier de géographie bien tenu du jeune Louis Poirier, vers 1920, atteste que cette matière était encore attractive. On comprend pourquoi Julien Gracq a élu la presqu’île. « Comme son nom l’indique, la presqu’île est entourée par les eaux de presque tous les côtés. Une seule bande de rochers, ou une langue de sables, la réunit à la terre ferme. »

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