Vu d’autres pays

De la littérature au Congo (1)

Les habitants de Kinshasa, la capitale du la République démocratique du Congo, savent créer des boutiques invisibles : une chaise sous un arbre devient le salon d’un barbier ; un drap tenu par deux garçons suffit pour faire un studio photo. Cette fois, c’est un bar, monté sur un terrain vague entre une route et des entrepôts industriels : des chaises en plastique, un parasol bloqué par un casier de bières vides, des « sucrés » et de la conversation. Pour écrire son « théâtre-monologue » et ses poèmes, Fiston Loombe Iwoku vient souvent dans cet endroit plus calme que les chambres de l’université. Le jeune poète en a aussi profité pour parler avec En attendant Nadeau.

Les écrivains de la République démocratique du Congo sont invisibles eux aussi. Non publiés faute de maisons d’édition, non diffusés faute de librairies, parfois même n’écrivant pas faute de nourriture ou d’électricité, souvent cachés dans des bureaux ou des commerces, ils n’échappent pas aux dures règles de la vie quotidienne congolaise et aux conséquences sur les individus de la destruction continue du tissu social et économique. Autant dire que, dans ce monde où la nécessité de survivre est la règle, il est rare d’entendre parler littérature. Quelle surprise a donc été la découverte de La Plume vivante, « revue littéraire congolaise » : une publication trimestrielle, certes faiblement diffusée (une centaine d’exemplaires imprimés, entre Paris et Kinshasa), mais qui entend avec courage « combattre l’assèchement du milieu littéraire et encourager les plumes en herbe », ainsi que Fiston Loombe Iwoku, son fondateur, le dit dans l’éditorial du deuxième numéro.

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Dans le quartier de Matonge, à Kinshasa

Soutenue par l’Association Benjamin Fondane et l’Alliance Champlain de Nouvelle-Calédonie, La Plume vivante est essentiellement composée de poèmes du Congo et d’Afrique. Dans ce numéro de printemps, en plus d’un dossier consacré à Benjamin Fondane, on trouve un hommage à Valentin Yves Mudimbe, né en 1941 au Congo belge, une nouvelle du Togolais Sami Tchak, ainsi que des poèmes venus de différentes provinces congolaises. Avec, toujours à l’esprit, la conscience des effets brutaux de la post-colonisation. Justy Chi, né à Kinshasa en 1983, demande ainsi : « Qu’attendons-nous, Élites d’Afrique / Pour mettre à la bouche la tétine / Que nous achetons dans les abaques ? »

On peut se procurer La Plume vivante en écrivant à: revuelaplumevivante@gmail.com

Entretien avec Fiston Loombe Iwoku la plume vivante

Qu’est-ce que La Plume vivante ?

C’est parti d’une idée ancienne : promouvoir la littérature, aider les jeunes écrivains à faire connaître leurs œuvres et, surtout, faire connaître aux peuples du Sud des textes qui peuvent les aider à recréer leur imaginaire. La peur de l’autre, la violence, le manque d’idéal, le rivage racial, la crise des modèles, m’ont poussé à créer un espace où régneraient des pensées nobles, capables de réinventer un nouvel imaginaire : les idées ne seraient plus inféodées à ces maux. J’ai conçu le projet seul, puis je l’ai présenté à Gabriel Mwéné Okoundji, qui a été le premier poète à participer à la revue. D’autres auteurs nous ont rejoints ensuite. L’idée était d’offrir à la jeunesse congolaise un espace qui servirait d’étal aux textes, aux idées et aux expériences, qui déclencherait auprès de la jeunesse du continent l’amour des mots et des livres en partant de la poésie, en faisant découvrir des auteurs d’ici et d’ailleurs. Je me suis inspiré des revues Liaison, Florilège ou Sipay, revue littéraire seychelloise. Il y a un grand écart entre le premier numéro et le deuxième : il ne faut pas que les numéros se ressemblent. Une version papier est plus souhaitable qu’en ligne car, au Congo, les gens ne lisent pas sur internet et la connexion coûte cher.

Comment êtes-vous venu à la littérature ?

Quand j’avais quinze ans, la littérature a représenté un refuge pour moi. Mon professeur de français nous incitait à lire et nous proposait de faire des exposés sur des romans. Un jour, je n’ai pas pu préparer ma leçon de latin et, comme le professeur était méchant, j’ai été obligé de fuir l’école. Au lieu de faire l’école buissonnière, je me suis abonné à la bibliothèque de l’Alliance franco-congolaise. Elle se trouve à Mbandaka, dans la province d’Équateur. C’est là que j’ai rencontré tous ces auteurs, Baudelaire, André Breton, Clémentine Nzuji, Valentin Mudimbe… Depuis, je ne fais que lire et écrire, mais mes textes ne sont pas diffusés à cause des urgences du quotidien.

Justement, comment fait-on, quand on est à Kinshasa, pour à la fois écrire et continuer de vivre au quotidien ?

Ici, il n’y a pas de repos pour les oreilles, peu d’endroits calmes, pas de bibliothèque à proximité et l’accès à internet est très restreint. Alors il faut aimer la littérature, c’est tout. Je me bats avec peu de moyens pour faire de l’écriture ma profession. Je ne suis pas d’une famille riche, je n’ai pas hérité, je n’ai pas d’emploi, j’ai frappé à de nombreuses portes mais elles étaient toutes fermées. Des gens sympas me soutiennent pour me payer le transport ; pour écrire mon recueil, j’ai dû me retirer dans la périphérie de Kinshasa, où j’ai dépensé 400 dollars pour être dans de bonnes conditions. Parfois je vais à la bibliothèque du Centre Wallonie-Bruxelles, mais ce n’est pas facile d’écrire parmi les rayons. Parfois je me réfugie sous les arbres du campus universitaire, ou bien je patiente jusqu’à l’heure à laquelle les gens se couchent. On se débrouille. Raison pour laquelle mon écriture a pris du retard.

Quelle est la situation de la littérature congolaise aujourd’hui ?

Elle connaît une traversée du désert. La littérature congolaise d’expression française est à genoux. Il y a plusieurs facteurs, dont les contraintes économiques. Aucune structure au Congo n’offre des résidences d’auteur, les acteurs politiques ne se sont jamais mobilisés sur la question. Quant aux instituts étrangers, ils sont devenus des lieux de légitimation : il faut être déjà connu pour y être invité, il faut être invité là-bas pour devenir connu. Cela fonctionne toujours par contacts personnels et cela devient des retrouvailles entre copains. Mais il y a aussi un problème de culture. D’une part les gens n’ont pas la culture de la lecture, et d’autre part il y a un phénomène de privatisation de la culture. Comme si la littérature devait être réservée aux grandes agglomérations comme Kinshasa et Lubumbashi, alors que dans les périphéries des gens s’y intéressent aussi. C’est pourquoi on a voulu créer un accès facile à la littérature par cette revue. C’est un projet qui permettra à la littérature congolaise de renaître.

Il existe actuellement de nombreux écrivains congolais (Jean Bofane, Fiston Mwanza Mujila, Sinzo Aanza…), mais ils ne sont pas diffusés dans leur propre pays.

Ce qui manque, ce ne sont pas les manuscrits. La Plume vivante publie des auteurs de tout le pays : nous constatons de la vitalité. Notre premier numéro a permis à certains auteurs de faire connaître leur travail. Mais on parle souvent de « littérature d’exil » à propos de la littérature congolaise. C’est devenu une sorte de légitimation : pour être accepté comme écrivain, il faut publier en Europe. Nous combattons cette idée. On peut publier au Congo et être connu dans le monde, certains écrivains comme Valentin Mudimbe y sont parvenus. Il y a un vrai problème d’imaginaire. Si j’essaie de contacter des gens, il y a de nombreuses réticences. Si c’était une revue française, il y aurait sûrement plus d’adhésion. Nous devons combattre ces complexes, ces blocages.

La solution ne serait-elle pas de penser une littérature « connectée » ou « frontalière » ?

J’essaie de ne pas donner à mes écrits une connotation purement congolaise. La Plume vivante, qui se dit « revue littéraire congolaise », publie quand même des auteurs étrangers à la République démocratique du Congo. Cela étonne les gens. On ne peut pas parler que de la littérature congolaise ! On peut en revanche parler du Congo en lui donnant une valeur universelle.

Propos recueillis par Pierre Benetti

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