Papotages cannois

Soit un livre, Sélection officielle, sur un sujet qui suscite en général, pour des raisons diverses, intérêt ou même passion : le festival de Cannes. Son auteur, Thierry Frémaux (qui a secondé Gilles Jacob à la direction du festival, puis, lorsque Pierre Lescure en a pris la présidence en 2015, s’est vu confirmé dans ses fonctions de délégué général), a consenti ou s’est porté volontaire pour écrire le journal de ses activités en lien avec le festival de mai 2015 à mai 2016, c’est-à-dire « d’une clôture à une clôture ».


Thierry Frémaux, Sélection officielle. Grasset, 617 p., 23,40 €


Cela donne six cents pages et beaucoup de mots pour pas grand-chose. Mais, sots lecteurs que nous sommes, que pouvions-nous attendre d’autre ? Qu’espérer en effet d’un ouvrage dont l’auteur, Thierry Frémaux, ne se flatte pas d’être écrivain et qui, étant donné les contraintes de sa profession, ne pouvait « révéler les secrets » de celle-ci, pas plus que formuler quelque chose d’un peu personnel ou profond sur des individus célèbres et puissants dont la fréquentation, qu’elle l’enchante ou non, lui est nécessaire ?

Pourtant, même dans ce cadre limité, l’auteur aurait pu, et là les lecteurs pas si sots l’attendaient, se concentrer sur l’analyse des films ou de sa passion cinéphilique, et effectuer une présentation un brin sérieuse de ce fameux festival et de son impact. La promesse de la quatrième de couverture les encourageait dans cet espoir : le livre se flattait de les « introduire au cœur de la machine […] et du fonctionnement interne du festival ».

Thierry Frémaux, Sélection officielle, Grasset

Thierry Frémaux © Hartman

Eh bien non, le Thierry Frémaux qui prend ici la plume, « un boulimique qui aime aimer », « un grand vivant », nous dit encore cette quatrième de couverture, « toujours entre deux vélos, deux trains, deux avions, plusieurs vies », a sans doute peu de temps pour se consacrer à l’activité écrivante et à son utile composante, l’attention circonspecte à soi et au monde. Voilà pourquoi son livre, qu’il serait bien facile de caricaturer, ne parvient essentiellement qu’à se plaire dans les listes des innombrables dîners, réceptions, coups de fils, visionnages, réunions, voyages…, qui sont les brioches quotidiennes du délégué général, et dans l’étalage des également innombrables belles personnes, toutes plus aimables, douées, etc. les unes que les autres, qui viennent avec lui partager ces brioches.

Page 442, toutefois, Thierry Frémaux, songeant à la retraite, laisse parler le Marc Aurèle qui est en lui : « Travailler dans une salle de cinéma est le point de départ et le rêve de tout cinéphile. J’ai toujours pensé qu’accueillir les spectateurs et déchirer les billets était un genre de consécration. Peut-être que je finirai ma vie comme ça. »

Alors, entre deux déchirages de billets, Thierry Frémaux aura peut-être le loisir de s’adonner à un peu de philosophie morale, aidé en cela, par exemple, par Henri Bergson qui disait : « La modestie vraie ne peut être qu’une méditation sur la vanité. Elle naît du spectacle des illusions d’autrui et de la crainte de s’égarer soi-même. »

À la Une du n° 26