Ces dernières brèves de la saison invitent à parcourir le monde. D’abord avec Shimmer Chinodya, fameux romancier du Zimbabwe, dont on peut découvrir l’univers réjouissant dans un recueil de onze nouvelles ; ou grâce à Olivier Rajchman qui fait visiter le cinéma en train de se faire à Hollywood et ailleurs ; mais aussi par l’imaginaire du poète Dominique Fourcade qui nous conduit en Palestine ; ou en compagnie d’un étrange personnage qui a fasciné le Quartier Latin ; pour poursuivre, en anglais, avec l’invitation d’Omar El Akkad à le suivre en Afghanistan, à Guantanamo, ou encore à Nunavut, pour revenir toujours à la Palestine. Et nous concluons avec Mélissa Blais et Roland Buti.
Né en 1957 dans un township à proximité d’une petite ville de ce qui était alors la Rhodésie coloniale, Shimmer Chinodya, récipiendaire d’importants prix littéraires (dont le Commonwealth Writer’s Prize en 1990), n’avait jamais encore été traduit en français. Les formidables éditions Project’îles réparent cet effacement en proposant de découvrir, grâce à leur récente collection de poche « Sira » (« sel » en malgache), un recueil de onze nouvelles initialement paru en 1998. Celui-ci, complété d’un glossaire shona procuré par l’auteur et d’une brève postface de la traductrice, offre une première approche de l’univers plein de réjouissantes surprises du romancier.
La prose caustique et vive de Chinodya saisit des personnages et des univers en transition, de la situation coloniale à ses rémanences post-indépendance (« Va voir M. B. V. »), du township à la ville, des aspirations d’une classe moyenne croquée en de nombreuses déclinaisons (« Chiens perdus ») au désabusement. Que ce dernier suinte, comme dans la nouvelle éponyme, d’une vie de couple disséquée au scalpel ou qu’il s’impose lors d’une balade nocturne avec deux filles, à deux doigts de virer au gore (« La cascade »). À côté des incompréhensions et tromperies qui régissent les rapports entre les sexes, à côté des désillusions de l’ascension sociale, Chinodya ausculte avec une ironie ciselée les stéréotypes raciaux et sociaux qui font dépérir toute relation (« Parmi les morts », « Fin de partie »). L’Afrique australe de la fin du siècle dernier prend vie d’une arrière-boutique à un braai, de Matroko Bush (« Hoffman Street ») à une école secondaire : « Je n’avais jamais pensé que les blancs pouvaient ressentir de la solitude. En fait je n’avais jamais pensé à eux du tout, à part qu’ils étaient nos oppresseurs. » La première nouvelle du recueil, « Neige », laisse éclater en vibrantes phrases nominales la solitude crue d’étudiants internationaux, sur un campus états-unien annonçant celui de Real Life (2020) de Brandon Taylor.
À noter également que le premier titre publié dans la collection « Sira » consiste en la réédition, préfacée par Mohamed Mbougar Sarr, de l’un des premiers romans d’Ananda Devi, Rue la poudrière (d’abord publié à Abidjan en 1989, depuis longtemps indisponible). En ce roman « commencé en 1979 », écrit-elle dans Deux malles et une marmite (Project’îles, 2021), Ananda Devi décèle « un étrange besoin de plonger ma plume dans le purin pour en extraire une écriture de l’excès, pour suivre une voie obscure […] et chercher […] ma propre voix ». Catherine Mazauric
Un film, observe Bertrand Tavernier, « c’est quelque chose qui est fait avec des peurs, quelquefois des larmes, des rires aussi, des passions, des coups de gueule, des moments d’émotion très forts ». C’est ainsi qu’Olivier Rajchman, journaliste et historien du cinéma, nous entraîne dans son ouvrage qui se lit comme un roman. Des Lumières de la ville à La mort aux trousses, de Chantons sous la pluie au Dernier métro, l’auteur nous fait vivre au plus près l’aventure des films. Fondé sur de nombreuses sources – historiens, journalistes, essayistes et critiques –, mais aussi sur des propos recueillis par l’auteur, ce livre fourmille d’histoires brillamment racontées.
On découvre un Charlie Chaplin résistant à l’arrivée du parlant mais rongé par le doute ; un Gene Kelly chantant « Singin’ in the Rain » alors que l’eau manque dans les studios de Hollywood pour simuler la pluie ; un David Lean exigeant que l’on nettoie le sable du désert pour Lawrence d’Arabie. L’auteur nous révèle aussi que Cary Grant avait reproché à Alfred Hitchcock la séquence de la tentative de meurtre par un avion dans un champ de maïs qu’il trouvait incompréhensible. Elle deviendra une scène culte de La mort aux trousses.
Tout aussi passionnant est d’apprendre les origines de chacun des films. Ainsi, Orson Welles regarda quarante fois La chevauchée fantastique ; Sergio Leone avec Il était une fois dans l’Ouest, voulant être une sorte de Visconti, tournera un western… à la Visconti. Parfois, c’est la production qui est dantesque, comme pour Autant en emporte le vent ou la fameuse et fastueuse scène de bal du Guépard, tournée pendant trente-six nuits d’affilée en août, par une température de 40°. Ailleurs, il faut lutter contre les éléments, tel le requin mécanique qui coule lors de sa mise à l’eau dans Les dents de la mer. Ou comment un mouvement de 10 cm du vaisseau spatial de 2001 l’odyssée de l’espace nécessita cinq heures de tournage.
Pour Olivier Rajchman, la production cinématographique est surtout un « compagnonnage ». Il rend ainsi hommage aux scénaristes, producteurs, ou encore aux compositeurs qu’aucun de ses récits de tournage n’oublie. D’ailleurs, le point commun entre tous ces films est le perfectionnisme, la détermination et même l’acharnement de ceux qui œuvrèrent à leur réalisation. Ce livre se dévore et donne envie de revoir chaque film. Et il fait souhaiter que vingt autres films contés par Rajchman soient déjà sous presse. David Azoulay

Le nouveau livre de Dominique Fourcade est un recueil de quatorze textes. Sans majuscules, le poème en est le « personnage principal ».
« strident létal comme
le violet d’Astrid »
La tragédie est là, celle de l’époque, celle du conflit Israël/Palestine, que Fourcade transpose en masculin/féminin. C’est bien lui. « si par malheur, la Palestine devenait un État dominant […] je cesserais de l’aimer aussitôt », dit-il. Le désastre en cours déclenche « l’interdiction de transposer en même temps qu’une obligation de transposer ». Parfois, c’est inutile : « à Gaza un homme venu enregistrer la naissance de son enfant dans un hôpital est revenu cinq minutes plus tard enregistrer son décès », d’autres fois, non : « Gaza est le diapason monstrueux de quelque chose de général aujourd’hui ». N’allez pas penser que Fourcade oublie le peuple juif, son livre précédent disait le contraire. Il prend ici d’autres biais : « je n’oublierai jamais qu’il n’y ait pas eu de place pour l’angoisse de Walter Benjamin dans l’angoisse nationelle d’un Israël à naître, nous sommes en 33 ». Son ami Gershom Scholem lui a fait savoir que « la Palestine juive était impensable (serait invivable) pour lui ».
Fourcade insiste plus loin sur cette possibilité : « reconnaître l’autre, celui qui était déjà là, de l’admettre, de tout partager. ce genre d’intelligence demande un courage suprême, n’est-ce pas Iris », poursuit-il. Iris, c’est la sculpture de Rodin. Sa photo est dans le livre. Cette puissance d’équilibre, cette grâce qui passe les obstacles, cette messagère des dieux, il demande à chaque femme de la reconnaître en elle. Dans La Vierge du chancelier Rolin, il voit la première intimer au second « de séparer le politique du religieux dans le gouvernement des hommes ». Il faut des variations à des thèmes dont l’interprétation qu’en donne l’époque échoue, et même un hymne, à chanter seul et « qui ne résonne qu’en soi. mais soi […] c’est hymniquement nous tous ». Soudain, il entend le chant d’un merle comme « l’air national de notre vulnérabilité » : la sienne, celle d’un Palestinien, celle d’un Israélien ; les deux, inconnus, entendant le même. « le merle fait de nous un peuple ». Le plus fragile porte ici une charge extrême. Sans doute est-il assez charpenté pour le faire. Pour finir, au moment où il corrige les épreuves du texte, survient un épisode bien dans le genre de l’époque, l’entrevue Zelensky/Trump/Vance ; Fourcade fait une postface et conclut : « l’homme, quel qu’il soit, tend sans cesse un piège à la condition humaine, Iris est repartie dire ça aux dieux et ne reviendra plus. les prévenir aussi qu’il n’y avait plus d’Occident. avant qu’elle parte nous étions d’accord sur un point : c’est la langue la terre rare à possibilités positives ». À lire, voilà c’est tout. Armelle Cloarec
Louis Wolfson captivait l’intelligentsia parisienne des années 1970, dont Sartre, Beauvoir, Foucault et Deleuze, celui-ci lui consacrant un chapitre au début de Critique et clinique. Il faut dire que Le schizo et les langues (Gallimard, 1970) est un texte sui generis, composé dans un français baroque par un juif new-yorkais n’ayant jamais vécu en Europe, publié dans la collection de J.-B. Pontalis « Connaissance de l’Inconscient », où il raconte l’élaboration d’un idiome personnel – un mélange de français, d’allemand, de russe et d’hébreu – créé comme bouclier pour ne plus jamais lire ni entendre son anglais natal.
Wolfson était-il fou ? Votre chroniqueur se reconnaît dans sa haine de l’américain, dans sa double quête des origines (l’allemand + l’hébreu + le russe = le yiddish) et de l’élégance : pour le Yankee raffiné, la culture française, à la fois intellectuelle et sensuelle, semble paradisiaque comparée aux mœurs primaires et étouffantes d’outre-Atlantique. Enfant, votre chroniqueur considérait l’anglais comme un écran de fumée servant à dissimuler les deux véritables langues : le germano-yiddish et le français, celle-ci ayant trait à tout ce qui était sensuel ou transgressif (hors d’œuvre, pièce de résistance, ménage à trois, femme fatale). La répugnance wolfsonienne pour la langue « maternelle » repose, il nous semble, sur un socle solide.
On est happé par cette enquête approfondie sur Wolfson, dont Fabre suit les traces du Bronx à Porto Rico, en passant par Montréal. Fabre relate sa découverte du « schizo » lors de ses études au Trinity College de Dublin, ainsi que ses échanges réalisés ou manqués avec d’autres aficionados : Paul Auster, auteur d’un article dans The New York Review of Books en 1975 ; Sylvère Lotringer, professeur à Columbia et organisateur du séminaire Schizo-Culture en 1975 ; Pierre Jacerme, éditeur de certains écrits de Wolfson publiés dans deux numéros de la revue Change en 1977 et 1978 ; Duccio Fabbri, auteur du film documentaire Sqizo ; et Chloé Thomas, universitaire à l’origine d’un ouvrage collectif intitulé Dialogues schizophoniques avec Louis Wolfson (2016). On apprend qu’en 2002 Wolfson aurait gagné deux millions de dollars à la loterie de San Juan, perdus six ans plus tard lors de la crise des subprimes. On apprend également que le schizo a disparu de la circulation en 2023.
Fabre, hélas, est moins agréable à lire dans ses pages sur Pontalis, remplies de hargne ; il accuse l’éditeur de ne pas avoir apprécié le talent littéraire du schizo, de l’avoir seulement considéré comme un cas pathologique. On y reconnait l’hostilité envers la psychanalyse caractéristique de notre époque.
On regrette également que dans ce texte étiqueté « roman », où Fabre parle du schizo comme un « frère », il révèle très peu sur lui-même. Quel rapport entretient-il lui-même avec sa langue maternelle ? A-t-il, lui aussi, besoin d’un bouclier, et, dans ce cas-là, est-ce l’anglais ? Wolfson, selon lui, aurait pu choisir d’écrire dans l’idiome de New York. Fabre fait abstraction du style de son idole, gommant la distinction entre le récit général du Schizo et les langues et les passages techniques sur les recherches linguistiques. L’auteur n’a pas choisi le français par hasard ; contrairement à Fabre, on ne le voit pas comme « apatride » – terme tendance –, mais comme antiaméricain : il récuse la langue dominante, à contre-courant de son frère francophone. D’ailleurs, l’anglais était-il vraiment sa « langue maternelle » ? Qui dit « maternel » dit « mère ». Or, celle du schizo avait été biberonnée au yiddish !
Quoi qu’il en soit, c’est la force de ce roman que de remettre ces questions à l’ordre du jour ; Wolfson a beau disparaître, grâce à Fabre, il ressurgit. Steven Sampson
Un jour, quand on ne risquera rien, quand il n’y aura plus d’inconvénient personnel à nommer les choses, quand il sera trop tard pour demander des comptes à qui que ce soit, tout le monde aura toujours été contre cela.
Le titre complet de cet ouvrage est déjà sa conclusion. Depuis le début du génocide, penser avec Gaza est (trop) vite devenu penser après Gaza : comment concevoir les conséquences à court et long terme de l’indifférence et de la complicité de nos dirigeants dans un génocide commis en notre nom et retransmis en temps réel sur nos écrans ? Dans ce contexte, le livre d’Omar El Akkad est proleptique : publié en février 2025, il se situe déjà dans cet après. Aujourd’hui, ce texte est d’une actualité brûlante, précisément parce que le génocide a eu lieu et que certain·e·s commencent timidement à retourner leur veste. Les temporalités troublées sont donc au centre de l’ouvrage, qu’il s’agisse de l’usage rétrospectif de certains mots ou de l’inversion des relations de cause à effet provoquée par la déshistorisation de la violence en contexte colonial.
Alors qu’Israël attaque l’Iran en l’accusant d’être sur le point de se doter de la bombe nucléaire (tout en continuant le génocide à Gaza, les attaques au Liban et au Yémen, et en imposant un blocus en Cisjordanie), les observations d’Al Akkad sur sa perception de la guerre du Golfe et sur l’injonction à identifier très vite le camp du Bien et le camp du Mal sont particulièrement pertinentes. Comment déconstruire les métarécits inculqués dès l’enfance ? Omar Al Akkad est romancier – ses deux romans, American War (2017) et What Strange Paradise (2021), sont salués par la critique – mais avant tout reporter, et a commencé cette carrière juste après le 11 septembre 2001. Le texte s’interroge donc sur l’ambiguïté fondamentale de la position éthique du journaliste comme « agitateur neutre », mais aussi sur la responsabilité des écrivain·e·s, dont beaucoup préfèrent se calfeutrer dans un art apolitique.
One Day mêle des passages autobiographiques à une analyse du génocide, pour raconter l’histoire d’un dessillement et d’une désillusion. Avec lucidité, Al Akkad examine la façon dont la déshumanisation de certains peuples s’enracine dans une fabrique du consentement structurelle et une distorsion du langage. Un livre urgent, donc, qui nous emmène en Afghanistan, à Guantanamo, ou encore à Nunavut, pour revenir toujours à la Palestine et à son insertion dans une logique nécropolitique coloniale. Neela Cathelain
Ce livre a plusieurs mérites. D’abord, celui de recenser soigneusement les interprétations et analyses données au fil du temps sur l’attentat du 6 décembre 1989 qui tua quatorze jeunes femmes de l’École polytechnique de Montréal ; il donne à voir les changement de perception, et l’auteure distingue l’action, celle de la construction de la mémoire, d’abord une conceptualisation qui appartient au militantisme mémoriel, de l’histoire qui ne se présente pas comme similaire et ne l’est pas (ou l’est indirectement).
Une succession d’assassinats se déroula d’étage en étage à partir de 17 h. Dans une classe, le tueur, Marc Lépine, fit sortir les garçons, qui obtempérèrent avec plus ou moins de réticence et livrèrent leurs camarades filles à l’arme semi-automatique du tueur, un Ruger-Mini-14 calibre 223.
Je me souviens de la sidération des amies féministes de Paris proches de Psych et Po qui ont mobilisé immédiatement sur la base d’une analyse du féminicide : étions-nous 30, 40 ? Mélissa Blais analyse le parcours de mémoire qui s’ensuivit à travers tous les médias du Canada, en français comme en anglais.
Le système des explications centrées sur la psychologie de l’assassin ou la question des armes éludent les mobiles du tueur, pourtant revendiqués : « envoyer ad patres les féministes qui m’ont toujours gâché la vie »… « elles veulent conserver les avantages des femmes tout en s’accaparant ceux des hommes », car il ne se voulut pas un « tireur fou ». Mais l’antiféminisme ignore sa parole au profit de la déploration, du silence recueilli qui noie l’intentionnalité du geste.
Ce non-discours perdure, tant dans le film Polytechnique, dix ans après les faits, que, vingt ans après, avec la pièce de théâtre Projet Polytechnique qui retraverse toutes les problématiques : à se vouloir juste milieu, on exclut la conceptualisation des féministes dites radicales et l’on pose en parallèle la montée du virilisme comme un autre excès ; cette position installe la souffrance et la compassion lénifiante jusque dans la vulnérabilité du tueur. Devenue protagoniste de son objet d’étude puisque, en 2009, J’haïs les féministes, le livre issu de sa thèse, fait partie de ce parcours de mémoire, Mélissa Blais n’a cessé, à partir de l’analyse critique de 751 articles, de montrer les contre-attaques antiféministes.
Trente ans plus tard, en 2019, l’enseignement en est le suivant : pour faire « lieu de mémoire », le terme qu’elle privilégie, la conceptualisation doit être immédiate et maintenue sans relâche, et elle déjoue en professeure de sociologie et avec ténacité les divers pièges de son évacuation. Maïté Bouyssy
À Sainte-Croix, petite ville industrielle du Jura suisse, deux exilés, Dino Roccasecca, dit Rocca, Italien, veuf d’Angelina et père d’Ivo, un petit garçon, et Máša, Tchèque de Moravie, littéralement jetée là avec sa valise, se rencontrent sur le trottoir, à l’issue de cette scène. Lui assemble des caméras mécaniques. Elle met sous pli des boîtes à musique destinées à l’exportation. Ensemble, ils donnent naissance à Jana au début des années 1950.
Très tôt, Jana « aime plus la nature que les êtres humains ». Elle se perd avec délice dans la forêt et les emposieus (gouffres dans lesquels les eaux disparaissent), se repaît de la neige et des herbes hautes, grimpe aux arbres avec une agilité féline, écrit des poèmes plutôt qu’elle n’apprend ses leçons, se défie de l’école et riposte par la force aux insultes de ses camarades. Elle et son frère sont très proches, si proches que cette proximité exclut leurs parents et les intrigue – ce lien si spécial rappelle celui des deux frères dans le puissant Cette vieille chanson qui brûle d’Alexandre Lenot (Denoël, 2024). L’indépendance, la personnalité et l’attitude de Jana vont bientôt entraîner sa disparition. Où a-t-elle disparu ? Pourquoi ? Quel vide laisse-t-elle chez ses parents et son frère ? Comment cet événement va-t-il bouleverser la famille, le couple et la fratrie ?
Dans ce beau roman, Roland Buti montre les effets sur des gens – des femmes dans ce roman – et leur famille de la « loi sur l’internement administratif d’éléments asociaux » qui permettait aux communes suisses jusqu’en 1981 d’interner des individus considérés comme inadaptés et/ou marginaux, sans procédure judiciaire ni infraction préalable. Jana est-elle inadaptée à la société ou simplement « extraordinaire » comme le pense son frère ?
Les petites musiques décrit avec force les rapports de domination qu’exercent les contremaîtres et les dépositaires du savoir sur les ouvriers. Par petites touches, Buti montre les ravages de la désindustrialisation provoquée par les révolutions techniques dès la fin des années 1960 et son impact sur les êtres. Il excelle à déployer ses personnages, avec délicatesse et émotion : Máša puise sa force dans sa colère et Rocca, ce roc de sable, se tait et s’étiole devant l’autorité et le pouvoir. Et, au-delà de tout, la beauté de Jana et la relation qu’elle entretient avec son frère Ivo touchent durablement. Willy Persello