La quête de l’Ouest est un mystère, au point de définir familièrement celui qui est « à l’ouest » comme celui qui est perdu dans ses nuages. Pour moi enfant, depuis Caudéran, à l’ouest de Bordeaux, l’Ouest c’était Arcachon, et, depuis Arcachon, le cap (Ferret), en face. Mais à Lacanau, tout devient compliqué. Nul n’a jamais entrevu l’Amérique avec le rayon vert. Le coiffeur de la station prévient : « Prochain salon, Miami, 7 182 km ». Plus mesuré, il aurait annoncé Boston 5 453 km ou Baltimore 6 028, c’est déjà moins.
Les finistères divers fixent donc les imaginaires ; ils se figent dans des rêves celtiques en Galice comme en Bretagne. Le Sud-Ouest n’a pas ce prestige, il fut Biturige, des Gaulois tardifs mais on ne sait trop qui étaient ces autres celtes antérieurs, les Boïens. Les credo fixistes valorisaient les Basques, de présence « immémoriale » et, comme on a parlé basque jusqu’aux portes de Bordeaux, à Bazas, on restait flou sur les mésolithiques d’avant les langages connus.
Quand la préhistoire s’est développée comme science à la fin du XIXe siècle, on craignait l’Allemagne, et on aurait eu honte d’être celtibérique, alors on ne regarda pas trop les contacts certains avec la culture protohistorique des Millares à l’est de l’Andalousie. Pourtant, c’est avec eux que l’on échangeait du cuivre contre de l’étain des Cornouailles. Mais seul comptait, entre craintes et valorisations alternées, l’échange est/ouest : on continua d’ailleurs gaillardement jusqu’à la guerre froide. Le Sud-Ouest en devint un ouest sans l’être vraiment puisqu’il se dénoue, se détricote, se défile par ses ports maritimes et ses ports de montagne, les passages pyrénéens. Les Huns et les Vandales ne firent que passer, seuls les Wisigoths s’implantèrent durant trois siècles de Toulouse à Tolède, laissant derrière eux la tradition des églises à lanterne des morts. Or, ils enjambaient les Pyrénées, même si Quitterie en figure de sainte martyre fut confisquée par l’ouest quand la vraie course à l’ouest repartit – ou commença –, celle de la Reconquista espagnole, celle de Saint-Jacques de Compostelle qui suit la voie lactée la nuit et, Matamore, tue des Maures le jour.

Reprenons : l’homme de Cro-Magnon puis ces hommes qui ont, paraît-il, occupé la falaise de Domme il y a 10 000 ans, n’avaient devant eux que des plaines et des marécages océaniques longtemps déserts humains. On trouve bien au nord quelques néandertaliens, vers Saintes, une autre fin de monde ; ont-ils été repoussés par les premiers, c’est à voir, mais on n’a pas plus leurs codes de communication que pour les mammouths et même des dinosaures présents sur ces sites très fréquentés, semble-t-il ! Bref, à chacun son terminus. Et les premiers qui sont allés au bout de leur ouest furent des producteurs de sel des bordures du bassin d’Arcachon dont les fouilles de sauvegarde développent la connaissance ; cette protohistoire de la pierre polie se marque d’importantes fabriques de bronze. Une toponymie en « os », Andernos, Biganos, Mios, Pissos, et une seconde zone en Sud-Gironde au sud de la Garonne, autour d’Auros, provient de ces mésolithiques, et le Médoc, autre fin de terre, fabriqua alors des haches de bronze aux bords relevés, qui, en leur temps, furent la modernité militaro-industrielle décisive. Alliée à quelques pratiques agraires néolithiques, cette industrie en bordure de l’Océan suppose des échanges à très long rayon, mais, là encore, point d’ouest absolu, sachant que ces populations venaient de zones côtières du nord mosellan et rhénan et qu’elles trafiquaient de l’étain de Cornouailles plus tard du Limousin pour le combiner au cuivre ibérique venu directement ou bien de la lointaine Méditerranée par la Garonne, Sète et Marseille. Mais d’eux, on ne sut que trop peu de choses.
C’est ainsi que la civilisation de Halstatt a fait recette. Apparaissant au VIe siècle (av. J.-C.) par le Danube, accompagnés de céramiques rubanées et non point cardiales (à stries de coquillage, comme en Méditerranée) ; on se les représente comme arrivés sur cet ouest terminus d’un vaste monde connu, et, miracle, ces agriculteurs permettent de poser le distinguo de devenirs différents. D’un côté, on explique l’ordre, le partage rigoureux des parcelles, bientôt l’assolement triennal, face à des Suds se complaisant dans l’anarchie du saltus, non cultivé, terre d’errance des troupeaux, aires de vagabondages désordonnés condamnées à leur future pauvreté et aux faibles rendements de terres cultivées seulement une année sur deux jusque sous le Second Empire. La science pontifia ainsi sans réserve des Suds, incertaines liaisons avec les terres non européennes et colonisables, mais quel bonheur que d’en avoir une clé anthropologique, pour ne pas dire génétique, et de surcroît venue par l’Est !
Conclusion, c’est bien l’ordre et l’Est, qui ont inventé un Ouest insaisissable car trop concret alors que se jouait, sur l’autre bord de l’Europe triomphante, un dangereux Drang nach Osten, politique et concerté au point d’en devenir tragiquement réel. Et tant pis pour le négoce au long cours de l’Ouest qui ne pense pas le moins du monde à sa butée sur le mar grande (en occitan), toujours frôlé, frisé, esquivé. Il n’y a pas que la campagne qui n’existe pas, l’Ouest non plus, eût dit Georges Perec.