Chemins lumineux de la poésie

Il va, le poète Joël Vernet, par les chemins buissonniers de l’écriture et de la vie. Il écrit comme il marche, toujours en alerte de ces petites choses qui lui font signe au cours d’une promenade, d’un voyage, ou tout simplement dans son jardin. Ce qu’il cherche, c’est une fraternité avec tout ce qui vit, c’est retrouver sur les êtres et les choses la fraîcheur d’un regard d’enfant : cet écrivain écrit avec le cœur. S’il se soucie peu de laisser des traces, son œuvre comporte plus de soixante-dix livres, et il vient coup sur coup d’en publier trois.

Joël Vernet | Journal d’un contemplateur. Dessins de Vincent Bebert. Fata Morgana, 80 p., 15 €
Joël Vernet | Voir est vivre. La rumeur libre, 270 p., 20 €
Joël Vernet | Vivre, cette splendeur sauvage. La rumeur libre, 112 p., 13 €

Le Journal d’un contemplateur est un chant du monde, vibrant d’amour et avide d’harmonie. Ce n’est pas seulement pour l’oreille, comme « ce bourdonnement des ruches ». C’est aussi et surtout une musique du regard, d’un regard qui s’étonne et s’émerveille, « cet éclat soudain d’une clairière » ou cette lumière qui pénètre tout et qui « vient mordre le cœur », à moins que ce ne soit le silence, celui du jardin, à l’aube ou au crépuscule. C’est d’ailleurs depuis ce jardin que Joël Vernet écrit, à la fois à l’affût de ce qui l’entoure, du moindre frémissement dans les branches ou dans l’herbe, et à l’écoute des souvenirs qui remontent du fond de sa mémoire. Le ton est à la nostalgie, qui « n’est que la plus belle manière de rapporter la Beauté au présent ». Ce poète aurait-il écrit s’il n’avait conclu dans son enfance, par ailleurs marquée par des événements douloureux, un pacte avec la nature ? « La poésie est ce serment fait aux pierres, au soleil, à la terre, au ciel, et aux hommes », nous dit-il.

Illustration pour Joël Vernet, journal d'un contemplateur
« Début du Printemps. Nature au printemps » (2020) © CC0/Philip W T Vining/ Flickr
"Journal d'un contemplateur", de Joël Vernet

Il y a chez ce poète et voyageur – et non voyageur-poète – une vocation à chercher un paradis sur terre avec ces petits riens, telles la rosée, la brume du matin ou le vol d’un oiseau, qui font la vie lumineuse, loin des blessures du Temps, ou du moins à l’inventer en tous lieux, avec des mots, parce que les mots ont le pouvoir de sauver. Son errance l’a mené aux quatre coins du monde, comme dans cette île qu’il évoque et où il a vécu dans une sorte de bonheur, sous « l’aile de la beauté, de la merveille ». Mais, où qu’il aille, même s’il considère le monde entier comme sa seule patrie, il emporte avec lui « ses reliques d’enfance » et finit toujours par revenir à son jardin, « au cœur d’un village silencieux ». Là, il écoute, il regarde, il se souvient. Et le passé est aussi présent que le présent. Dans l’émouvant hommage qu’il rend à sa mère vers la fin du livre, on comprend soudain que cet accent chantant, ce rythme mélodieux que l’on discerne dans son écriture lui vient du patois de son enfance, sa manière à lui d’en retenir l’écho, en sourdine, dans cette langue française où il a trouvé son chemin de poésie.

D’autre part, il a entrepris de publier ses œuvres poétiques, dont le premier volume vient de paraître sous le titre Voir est vivre, avec des textes naguère publiés mais devenus introuvables, et des inédits. Si l’on connaît le prosateur – il y a d’ailleurs quelques proses dans ce recueil –, ses poèmes sont peut-être moins connus. Ils ne nous font pas découvrir un autre Joël Vernet, mais l’écriture en vers, par la sobriété qu’elle implique, est plus propice à la suggestion : elle donne une résonance au silence et au non-dit. On ne sera pas étonné de retrouver chez ce rêveur qui a « rêvé tous les rêves » cette quête d’harmonie, du bonheur dans les petites choses, de la paix intérieure, de la lumière, de la fraternité avec les humbles, mais aussi ses cris de colère et de révolte face à l’injustice et à la barbarie : « La barbarie enjambe les époques, / La violence et la mort Se mettent toujours à table / Alors meurent affamés des innocents / Dans des geôles lugubres. »

Malgré la mort de proches, la séparation et la souffrance, c’est l’amour qui vibre dans sa poésie, en vers et en prose. Ses mots sont une célébration, une offrande à la vie :

« Aux grands vents démunis,

À l’automne du cœur,

Aux soirs légués, miraculeux,

À l’heure sans prière

Enveloppée du seul amour d’un soleil.

Aux si beaux visages

Tuméfiés par l’Histoire,

À la plume du hasard,

À cette mort qui nous précède,

Qui nous hante

Dans l’enchantement d’un été… »

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« Il y a chez ce poète et voyageur – et non voyageur-poète – une vocation à chercher un paradis sur terre avec ces petits riens, telles la rosée, la brume du matin ou le vol d’un oiseau, qui font la vie lumineuse, loin des blessures du Temps, ou du moins à l’inventer en tous lieux, avec des mots, parce que les mots ont le pouvoir de sauver. »

Le troisième livre, Vivre, cette splendeur sauvage, rassemble les entretiens qu’il a eus avec Thierry Renard, Bruno Goffi, Yann Nicol et Rodolphe Christin, auxquels viennent s’ajouter des fragments inédits. Ces entretiens sont propices à la confidence, sur lui et sur les siens, et construisent de la façon la plus simple, dans l’échange, une sorte d’autobiographie qui éclaire l’œuvre. Vernet nous livre des anecdotes sur son enfance marquée par la pauvreté et sur ses multiples voyages. Ce n’est pas l’imaginaire qui guide son écriture, mais la vie : « Je n’écris pas pour écrire, mais pour vivre, oui vivre à pleins poumons, m’asphyxier de cette vie… J’essaie, j’essaie d’être à la hauteur d’un brin d’herbe, d’un visage, d’un enfant, d’une parole trébuchante, d’un regard blessé… »

Ce flâneur clairvoyant, qui écrit « avec l’oreille, les yeux et le cœur », considère ses livres comme « des pirogues de papier construites pour personne, à bord desquelles nous pouvons monter si le cœur nous en dit ».