Des revues sur la toile

À l’occasion du Salon de la revue, nous avons voulu entendre le son de cloche de revues qui se déploient sur internet, comprendre la manière dont elles approchent ce support, comment elles travaillent ou se diffusent.

Entretien avec Terre à ciel

Vous avez créé en 2005 une revue numérique originale. Comment et pourquoi avez-vous choisi ce support si tôt ?

Au salon de la revue : trois revues en ligneÀ partir du début des années 2000, il y avait quelques sites internet de poésie et de littérature. Je pense à Remue.net, Esprits Nomades, Zazieweb (qui n’existe plus)… À titre personnel, ces médias m’ont permis de découvrir la poésie. Notamment Florence Trocmé qui tenait un almanach poétique sur Zazieweb, bien avant de créer à son tour Poezibao. Cela m’a donné envie d’en savoir davantage. J’ai passé des heures à fouiller le web et les médiathèques à la recherche d’informations sur les poètes. C’est alors que j’ai eu l’idée de créer une plateforme qui permettrait de mettre à la disposition des internautes un panorama de la poésie contemporaine. J’avais en tête une sorte d’encyclopédie poétique. Je me disais à l’époque qu’en deux ou trois mois j’aurais réussi à recenser tous les poètes, mais quelque dix-sept ans plus tard… nous voilà encore là !

Comment une revue numérique s’inscrit-elle, depuis si longtemps, dans le champ poétique aujourd’hui ?

Je crois que, pour durer, le secret est un ensemble d’ingrédients : la constance, la passion, l’envie de transmettre et d’être une passerelle et enfin l’exigence. C’est aussi de diffuser la poésie dans toute sa diversité. Et, pour que cela puisse fonctionner, le travail en équipe est essentiel car, sans cette émulation collective, Terre à ciel ne serait certainement plus là. J’en profite pour remercier tous les contributeurs actuels de Terre à ciel et particulièrement l’équipe (Florence Saint-Roch, Françoise Delorme, Isabelle Lévesque, Clara Regy, Sabine Dewulf, Roselyne Sibille, Olivier Vossot).

Comment votre revue a-t-elle évolué ? Comment « marche-t-elle » ? Quels sont vos projets ?

Ce n’est pas vraiment une revue qui a été pensée au départ, mais au fil du temps des personnes ont proposé de m’aider à alimenter Terre à ciel. On a créé différentes rubriques, mis en place un comité de lecture, de rédaction, une périodicité de parution, un édito… À l’évidence, c’est bien plus qu’un simple site de poésie, car Terre à ciel est vivante, curieuse de chaque écriture, curieuse de la manière dont la poésie évolue et bouscule parfois les codes. Nous fonctionnons donc avec cette ouverture, l’idée de présenter à nos lecteurs la diversité et la richesse de la poésie contemporaine. Nous avons un comité de rédaction dans lequel les propositions sont faites, mais nous sommes ouvertes à toutes les propositions extérieures. Élargir toujours le champ de vision de la poésie. Nous recevons aussi des poèmes inédits de la part de jeunes auteurs que nous approuvons en comité de lecture. En termes de projets, c’est la disponibilité et les moyens qui manquent, mais le plus beau projet que j’aimerais pour Terre à ciel, ce serait d’éditer chaque année un ou deux de nos jeunes auteurs… Leur offrir ainsi un premier livre. Peut-être un jour… Peut-être en collaboration avec une maison d’édition qui m’accorderait une collection dédiée aux jeunes talents publiés sur Terre à ciel. En 2022, il y a eu, par exemple, un coup de cœur pour le travail de Camille Sova que je vous invite à découvrir dans la revue.

Plus d’informations sur la revue Terre à ciel en suivant ce lien.

Entretien avec Recours au poème

Recours au poème est une revue numérique de critique et de réflexion sur la littérature. Pourquoi avez-vous choisi ce support en 2012 ?

Au salon de la revue : trois revues en ligneIl y a dix ans, internet était en plein développement et le numérique offrait de nombreuses possibilités inédites. Recours au poème, qui est en constante évolution, s’est modernisée pendant dix ans d’existence pour user des potentialités de son support. Cela permet un renouvellement incessant des contenus. Temps réel, liberté de périodicité, changements de sommaire… Cela nous permet de toucher un lectorat très varié – âge, profil, provenance. C’est instantané, gratuit, universel. Cela crée une sorte de communauté mondiale centrée sur la poésie. Des liens qui constituent le ferment de nouvelles voies d’expression poétiques nées de ces rencontres et de ces croisements. Il fallait donc amener la poésie vers l’internet, lui consacrer du temps et lui offrir des espaces d’expression dédiés, comme nous sommes plusieurs à le faire désormais.

Votre revue permet une certaine diversité, une pluralité. Comment concevez-vous vos numéros ? Comment vous situez-vous dans le champ critique contemporain ?

Nous renouvelons le sommaire tous les deux mois, avec un nouveau sommaire, un dossier thématique dans lequel s’inscrivent des articles : des chroniques, des essais, des critiques, mais également des poètes qui écrivent pour l’occasion. Ces dossiers suivent l’actualité ou mettent en lumière certaines problématiques que soulève la poésie, qu’il s’agisse de questions structurelles ou historiques. À côté de ces groupements thématiques, nous proposons des chroniques récurrentes : La « Chronique du veilleur » de Gérard Bocholier par exemple, ou la présentation d’un poète « Native American » proposée par Béatrice Machet, qui sont de véritables rendez-vous. Je pense tout spécialement à Jean Migrenne qui nous a quittés en 2020 et a proposé pendant plusieurs années une très riche chronique, Un Américain à Séville. Et puis il y a notre activité critique qui offre un espace d’expression à de multiples voix. La revue se veut ouverte, une revue vivante qui essaie de donner à ressentir la poésie vivante. On essaie de réfléchir un nouveau type de réception des textes. La publication de poésie en revue ou de recueils sur écran l’interroge singulièrement car l’écriture y est aussi une image et se combine avec d’autres possibles éditoriaux, des liens, des contenus supplémentaires.

Pourquoi ce très beau titre ?

Ce titre nous a été offert par Gwen Garnier-Duguy, fondateur de Recours au poème en 2012. Nous lui laissons donc la parole, avec cette annonce du premier numéro paru en mai de cette même année :

« Le Poème »

Il n’est aucun humain en dehors du Poème et c’est à ce dernier qu’il convient d’avoir recours si nous souhaitons  être

frères

Plus d’informations sur la revue Recours au poème en suivant ce lien.

Entretien avec la Revue d’histoire culturelle

Votre revue hérite d’une tradition intellectuelle. Comment la concevez-vous dans le champ des études historiques aujourd’hui ?

Au salon de la revue : trois revues en ligneL’histoire culturelle que la revue entend promouvoir prend corps dans les années 1980 pour se développer à la charnière du XXe et du XXIe siècle. Elle est fille de l’histoire des mentalités et héritière de l’histoire totale des Annales en ce que, comme elles, elle s’intéresse au collectif, accorde toute leur importance aux représentations et aux imaginaires. Elle est aussi liée à la tradition des cultural studies britanniques des années 1960 et à ses prolongements, marqués par une approche anthropologique des objets d’étude, l’importance accordée à la capacité de résistance des classes dominées, aux hiérarchies socioculturelles, aux réappropriations sociales des objets culturels. Elle est, enfin, issue des changements de paradigme opérés dans les dernières décennies du XXe siècle qui ont conduit à mettre l’accent sur le rôle des individus, la place du politique ou l’influence du symbolique

Conçue comme englobante, elle constitue un domaine qui circonscrit des objets, des pratiques et des groupes fondés tout autant sur des idéaux, des croyances, des manières d’être ou de se comporter que sur des appartenances socio-économiques. Tout en pratiquant le dialogue avec les disciplines des sciences humaines et sociales comme avec les sciences « dures » et des approches plus techniques, elle s’enracine dans la discipline historique par l’attention portée au diachronique, à l’événement, aux variations temporelles, au jeu et au rejeu des mémoires.

Pourquoi avoir choisi la forme numérique et la gratuité ?

La revue est fabriquée au sein de l’Association pour le développement de l’histoire culturelle (ADHC). Notre modèle économique relève du bénévolat. Il nous a alors semblé qu’il était sans doute plus aisé de mettre nos compétences scientifiques au service de la fabrication d’une revue numérique. Pour ce faire, nous nous sommes initiés aux logiciels de mise en ligne. Par ailleurs, nous sommes très sensibles à la science ouverte. Or, la forme numérique autorise la gratuité pour les lecteurs et les lectrices, même si, de fait, des coûts induits de production existent, en particulier le coût en temps consacré à l’élaboration des numéros.

Votre revue paraît très ouverte, accueillante. Comment fonctionne-t-elle ? Comment envisagez-vous collectivement l’histoire culturelle aujourd’hui ? 

Le comité de rédaction (25 membres) se réunit environ une fois par mois et débat des orientations. Un comité de lecture et un conseil scientifique l’accompagnent. La revue compte un dossier et plusieurs rubriques qui fonctionnent chacune comme un atelier d’élaboration. Elle pratique l’expertise en double aveugle. La perspective de la revue est transnationale, qu’il s’agisse des auteurs, des thématiques ou des perspectives de recherche abordées. La publication accueille des articles en français et dans d’autres langues.

De la même manière que la revue accueille des types variés d’approches en histoire culturelle, elle ne s’interdit aucun objet d’étude. En effet, comme l’a écrit Pascal Ory, « tout est source », « tout est public ».

Plus d’informations sur la Revue d’histoire culturelle en suivant ce lien.

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