Tarabuste : ce qui les lie

Refuges de la poésie

Comme d’autres, Tarabuste est trop souvent minoré par l’étiquette de « petit éditeur de poésie », qui confond la qualité de son bilan artistique avec le fait que sa production est exclue des circuits de diffusion réservés au profit immédiat.


Laurent Fourcaut, Dedans Dehors. Tarabuste, 176 p., 16 €

Camille Loivier, Cardamine. Tarabuste, 176 p., 13 €


Bien que cette classification arbitraire puisse, parfois, être employée avec sympathie, elle n’en est pas moins triplement fausse et nocive : elle dévalue le travail réalisé depuis trente ans. L’expression induit aussi une sur-évaluation de lieux qui ne sont plus ce qu’ils étaient ; elle englue dans une sorte de fatalisme la réflexion nécessaire pour que la poésie sous toutes ses formes conserve une place dans la vie culturelle. Si parler de « petits diffuseurs » est plus exact, il ne faut néanmoins pas que cela masque le réseau de libraires et de bibliothécaires qui s’est développé autour de Saint-Benoît-du-Sault et le succès du site de Tarabuste qui, avec ses réponses en 24 ou 48 h et ses envois gratuits, a permis d’affronter la pandémie en limitant les dégâts et en battant Amazon sur son terrain.

Tarabuste : ce qui les lie

« Antonin » © Pierre Balas

Le catalogue que Djamel Meskache élabore avec autant de patience que d’impatience est important pour trois raisons. Premièrement, parce qu’il invente une histoire de la « poésie » en entrelaçant des auteurs qui se sont manifestés dans les années 1960-1980 (Louis Calaferte, Alain Lance, Claude Minière, Paul Louis Rossi…), des auteurs qui ont fait la fin du XXe siècle (Michel Collot, Pascal Commère, Nicolas Cendo, Dominique Grandmont, Marie Étienne, Michèle Métail, James Sacré..) et enfin ceux qui illustrent ces deux dernières décennies (Jean-Pascal Dubost, Camille Loivier, Serge Ritman, Françoise Cédat, Rémi Froger…). Deuxièmement, parce que cet éclectisme éclairé a permis la découverte de poètes qui ont maintenant une visibilité certaine parmi les deux cents poètes intéressants du moment (Ariane Dreyfus, Antoine Emaz, Éric Sautou, récemment Gabriel Zimmermann…). Troisièmement parce que cet ensemble, dont l’existence est stimulée par le jeu interne des collections (par exemple « Repères », qui donne à lire en poche des œuvres publiées à leurs débuts par des auteurs tels que Jacques Ancet, Gérard Arseguel ou Daniel Biga), ne se contente pas  d’intégrer les manuscrits reçus, mais va à leur rencontre avec les anthologies et les numéros de Triages réservés aux inconnu(e)s.

Reste, pour terminer, à insister sur ce qui ne se mesure pas concrètement : la qualité des rapports noués avec les auteurs. La meilleure façon de la matérialiser est de publier un inédit d’Antoine Emaz (1955-2019), le premier poète publié par Tarabuste, qui doit beaucoup à la maison d’édition – laquelle en retour a bénéficié de sa notoriété – et dont l’œuvre continue d’être défendue par toute l’équipe éditoriale.

30.11.97

« On a toujours tendance à trop vouloir en dire alors qu’il faut laisser entendre si l’on souhaite être écouté.

Il faut parler au plus bas de la voix […] inutile de forcer – un poème devrait être soufflé à l’oreille et être retenu par et pour ce qu’il porte d’expérience commune mise en forme.

Au-delà on entre dans le théâtre. »


Le peintre Pierre Balas, né en 1939, vit et travaille en Seine-et-Marne. Il a exposé à Munich, Bâle, Paris, Hambourg, Trèves, Barcelone, Naples, Palerme, Prague… Ses œuvres sont présentes dans plusieurs collections : Musée d’Art Moderne, Fonds National d’Art Contemporain, Bibliothèque Nationale.

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