Chasseur de vents

La littérature de voyage du XXIe siècle n’ayant plus d’inconnu pittoresque – géographique ou ethnologique – à faire découvrir, elle porte son attention ailleurs : les moyens de transport et l’effort physique du déplacement (vélo, cheval, nage…), les lieux délaissés par le regard esthétique (banlieues, zones commerciales…), la duplication de parcours déjà célèbres (en Grèce sur les pas de Leigh Fermor, la traversée des Cévennes avec un âne comme Stevenson…), l’observation de groupes humains traditionnellement dépourvus d’exotisme (chômeurs…), etc. Dans Où vont les vents sauvages, Nick Hunt a décidé, lui, très originalement, de partir à la découverte des vents.


Nick Hunt, Où vont les vents sauvages. Trad. de l’anglais par Alexandra Maillard. Hoëbeke, 269 p., 20 €


Belle idée, car les vents, laissés aux poètes, aux scientifiques et aux professionnels des déplacements aériens ou de l’énergie éolienne, n’ont, semble-t-il, pas fait l’objet d’essais littéraires. Hunt, qui a toujours eu le goût de « se faire emporter par les vents », a donc choisi de raconter sa rencontre avec eux. Mais comme des vents, il y en a beaucoup, il a dû pour son livre se limiter à quatre d’entre eux, en rappel du nombre des vents mythologiques et des points cardinaux.

Nick Hunt, Où vont les vents sauvages

Voilà donc notre marcheur, puisque c’est à pied qu’il se déplace, parti à la rencontre de l’helm qui souffle sur les Pennines britanniques, de la bora balayeuse en mer Adriatique, en Grèce et en Turquie, du foehn, habitué des Alpes autrichiennes et suisses, et de notre mistral. L’entreprise a pour but de découvrir une sorte de personnalité des vents qui doit se révéler à lui au fur et à mesure qu’il « s’immerge » en eux, parle aux gens du pays, s’instruit de la géographie, de l’histoire et de la culture des territoires qu’ils traversent. Tous, terribles et tyranniques, martèlent, canonnent, et rendent fou, chacun à sa manière… faisant le désespoir et la fierté des habitants.

Tel endroit se prétend le plus venteux du pays ; tel autre se vante de recevoir les souffles les plus variés ou les plus imprévus. Tout le monde a une anecdote ou une légende à raconter sur « son » vent. Beaucoup s’en veulent des spécialistes. Ainsi, à Cruas, en Ardèche, un homme que Hunt a rencontré au hasard de sa marche et à qui il a demandé des précisions sur le mistral lui fait une leçon en plein air sur les vents locaux, énumérant : « la tramontane du nord-ouest ; la burle qui apporte la neige; le vent du sud générique, qui charrie du sable depuis l’Afrique ».  Et lorsqu’une puissante bourrasque interrompt son « monologue », Hunt souligne avec amusement la légère vanité et la justesse de l’analyse de son interlocuteur : « Ce n’est pas le mistral, déclara-t-il après un moment de réflexion et un haussement d’épaules, celui-là ne compte pas. D’ailleurs, il n’a pas de nom. »

Nick Hunt, Où vont les vents sauvages

© Jean-Luc Bertini

Car avoir un nom est essentiel… tant et si bien que Hunt semble avoir en partie fabriqué l’helm, ou en tout cas promu un vent local à la connaissance nationale (car beaucoup de Britanniques n’en ont jamais entendu parler) et internationale. Vérifiez et vous verrez, l’ « helm wind » n’a aucune réputation, ou une toute petite, contrairement à ces grandes stars que sont la bora, le foehn et le mistral. Mais l’effort de Hunt est à soutenir, et ce d’autant plus que, paraît-il, l’helm serait « le seul vent qui ait un nom en Grande-Bretagne ». Eh bien, ça alors !

Ainsi, Où vont les vents sauvages, qui est à placer sur ses rayons à côté de The Peregrine Haunts of the Back Masseur, Waterlog, ou Sightlines, est le plus joli des livres, un de ceux qui éveillent cœur, muscles et cerveau. Et lorsque l’auteur, dans les pages finales, confie qu’au cours de « tous ces mois à suivre le vent, [s]a peau et [s]es sens ont été nettoyés, frottés, brossés, gelés, chauffés, bourrés de coups, pliés, vivifiés, éreintés, démoralisés, et exaltés ; ‟animés”, dans l’acception la plus profonde du terme », nous savons que cela vaut imaginairement pour nous, dont les existences moins aventureuses ont été vivifiées par ce merveilleux parcours avec un « amoureux des rafales ».

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