Nouvelles grecques

Parmi les livres délaissés pendant le confinement, faute de librairies ouvertes, mais aussi faute de temps propice à la lecture – ce temps de disponibilité, véritable grâce, où l’on peut écouter ou entendre, dans lequel la parole de l’autre peut nous atteindre –, figure ce recueil de nouvelles grecques de Yànnis Palavos. Paru en Grèce en 2012, Blague est traduit par Michel Volkovitch qui le porte aux oreilles et au cœur du lecteur francophone.


Yànnis Palavos, Blague. Trad. du grec par Michel Volkovitch. Quidam, 108 p., 13,50 €


Yànnis Palavos, Blague

Les nouvelles de Blague se lisent d’une traite. Elles nous emportent, par leur rythme d’abord – et c’est précisément ce dont on avait besoin pour sortir d’une forme d’inertie angoissée –, mais aussi par leur apparente simplicité. Après une mise en bouche intrigante, où il est question de mot de passe piraté, la deuxième nouvelle, « Des vieux », donne le ton, ce ton si particulier, à la lisière du rêve, qui résonne du début à la fin du livre. Le fantastique s’immisce plus ou moins franchement, mais plus encore un sens de l’absurde qui nous prend au dépourvu. Yànnis Palavos sait, en quelques mots seulement, faire surgir l’essentiel de chaque détail de l’existence, ce à quoi on n’avait d’abord pas pensé mais qui nous semble, une fois dévoilé, incontournable.

On s’amuse parfois franchement, par exemple de cet agrafeur en train de converser avec un fax alcoolique ; on est surpris, la plupart du temps, car l’auteur est particulièrement talentueux pour faire surgir une image d’abord brutalement étrange, qui nous est presque aussitôt familière parce qu’elle laisse voir exactement ce que l’on ressentait sans pouvoir l’imaginer. C’est en partie pourquoi on s’humanise un peu plus à chaque page de Blague. Chaque nouvelle nourrit et enrichit nos représentations les plus intimes, parfois encore inavouées. C’est probablement l’inépuisable richesse de ce recueil, dans le même temps totalement limpide, qui nous fait plonger dans l’humanité de chacun des personnages, et pour finir dans la nôtre. Yànnis Palavos ne nous laisse pas le temps de reprendre haleine entre deux nouvelles et, en nous entraînant à sa suite, il nous force à sortir de nous-même pour mieux nous permettre d’y revenir une fois le recueil refermé. C’est alors le plaisir de la lecture retrouvé qui nous frappe en plein cœur.

Yànnis Palavos, Blague

Yànnis Palavos © Quidam éditeur

Le caractère loufoque des histoires de Yànnis Palavos est jubilatoire parce qu’il est le ressort principal pour parler de l’essentiel, parce qu’il touche parfois au tragique, dans sa cruelle nudité, et qu’il évoque, inlassablement, ce qui relie les individus. Jamais gratuit, le comique de l’auteur est quasiment métaphysique. Les rapports entre les individus sont probablement ce qui fait le lien entre toutes les nouvelles. Si ce n’est pas d’abord ce à quoi on pense, on ne peut nier, en refermant le recueil, que Blague est un livre d’amour et un livre sur l’amour. Les jeunes et les vieux, les enfants et les parents, les riches et les pauvres, les vivants et les morts, les hommes et les bêtes, les amoureux et ceux qui n’aiment plus… Yànnis Palavos s’attache à faire sentir au lecteur ce qui se tisse entre toutes ces parties de l’humanité, car tout est humanité dans le regard plein d’amour de l’auteur. C’est dans toutes ses subtilités et ses variations que l’on éprouve alors la force du lien, qui tire sa force précisément de sa fragilité. De ce point de vue, Blague est un livre aujourd’hui essentiel.

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