Du néologisme verbal décamérer : « sortir de sa chambre en restant confiné ». quarantième jour de confinement : « peut-on détecter le mensonge ? ».
Revoilà Calandrin, Bruno, Bulfamaque – à la campagne, cette fois. Sans Tesse, aujourd’hui trop mal en point pour se déplacer.
Le couple avait une petite maison de campagne qui permettait de mettre un peu de beurre dans les épinards. Chaque année, traditionnellement, Tesse et Calandrin y allaient en décembre tuer et saler le cochon.
Tesse malade, Calandrin s’y rendit tout seul, cette année-là. Il reçut la visite des deux B., qui s’étaient secrètement promis d’avoir leur part du cochon, et logeaient chez le curé.
Calandrin les accueillit, jovial : « Les amis, je vais vous montrer comment j’entends l’économie, moi, tout peintre que je suis. » Il les conduisit dans un réduit et leur fit voir le cochon pendu qu’il avait fait tuer le matin même.
« Salé, il nous fait tout un hiver.
– Tu ferais mieux de le vendre, dit. B. Tu pourrais dépenser l’argent avec nous tout de suite. Tu n’auras qu’à dire à Tesse qu’on te l’a volé.
– Non, non. Elle ne me croirait pas. »
Le soir même, les deux B. entraînèrent Calandrin à la taverne la plus proche et le saoulèrent. Il rentra à minuit, titubant. Il mit un temps fou à ouvrir la porte de chez lui, et n’eut que le temps de rejoindre son lit, tout habillé : une minute après, il ronflait.
Une heure plus tard, B. et B., à peu près sobres, se trouvaient avec des outils devant la porte de la maison. Elle était ouverte : il suffisait d’entrer. Sur la pointe des pieds, ils allèrent jusqu’au réduit, embarquèrent le cochon et le ramenèrent tant bien que mal chez le curé.
Calandrin ronflait toujours.
Le lendemain matin, il s’effondrait : devant la porte du réduit ouverte et le cochon perdu.
Il court partout, se lamente, verse un torrent de larmes. C’était la catastrophe ! Arrivent B. et B.. « On m’a volé mon pourceau, les amis ! »
B. lui murmure à l’oreille : « Parfait ! Reste sur la même longueur d’ondes : sois rusé, pour une fois !
– Mais c’est vrai, je ne plaisante pas !
– C’est ça ! Encore plus fort ! »
B. et B. firent tourner Calandrin en bourrique un bon moment.
« Il ne s’est pas envolé, ton cochon !
– Je vous dis qu’on me l’a volé. Vo-lé !
– Bon, bon, ce n’est pas un Indien qui l’a pris dans la nuit. Il faut interroger les voisins. »
Ils devisèrent un moment sur la stratégie à adopter pour rassembler tous les suspects du village.
« Demain, c’est jour de fête. On va les inviter à boire un coup. Il nous faut du vin et des bonbons au gingembre. Le vin attirera tout le village, et nous jetterons un sortilège aux bonbons pour détecter le coupable. Tu verras, ça va marcher. Je vais chercher les bonbons et le vin : donne-moi de l’argent, Calandrin. »
B. descend à Florence : chez l’apothicaire, il achète une livre de bonbons au gingembre, et fait enrober de sucre deux croquettes pour chien bourrées d’aloé vera. Il remonte au village avec un baril de vin blanc, ses bonbons en poches.
« Calandrin, va inviter pour demain tous ceux que tu soupçonnes. Pendant ce temps, nous allons jeter un sortilège contre le mensonge à la boîte de bonbons. »
Le lendemain, à la sortie de l’église. « Bonnes gens, bonnes gens, approchez ! Calandrin vous offre le vin du dimanche. Mais attention : il s’est fait voler son cochon, hier. Pour trinquer, il faut aussi manger un bonbon. Ce sont des détecteurs de mensonges : ils sont délicieux, sauf pour les menteurs, qui sont contraints de recracher aussitôt. »
Pour éviter la honte du crachat public, le voleur pouvait donc dès à présent se démasquer. Il serait aussitôt pardonné par monsieur le curé.
« Que chacun consulte sa propre conscience. »
Tout l’auditoire était prêt à boire et à manger : devant le baril, on refaisait la queue comme pour communier.
Tout à coup, Calandrin recracha sa pilule. « Attends, mon ami, tu as dû avoir un problème ; en voici une autre. »
Et B. lui mit lui-même le bonbon sur la langue.
Celui-ci était encore plus immonde. Calandrin, le visage en feu, tourne et retourne la pilule dans sa bouche : tout suant, il fait des efforts surhumains pour déglutir, les yeux exorbités.
Impossible : il recrache à nouveau. Tous avaient les yeux fixés sur lui. Quelle honte ! Outrés, les gens rentrèrent aussitôt chez eux.
La place était vide.
« Alors, l’ami, on le savait bien que tu nous avais floués ! Tu ne voulais pas partager l’argent du pourceau avec nous, hein ? On connaît ta fourberie, gros malin. On a vu, dans le Mugnone, de quoi tu étais capable – on saura à quoi s’en tenir, à l’avenir. »
B. et B. le plantèrent là. Calandrin avait les larmes aux yeux, la sueur au front – et dans la bouche, un goût amer d’aloé vera.