Combattre la psychose

Ce livre a de la mâche, comme l’on dit de certains bons vins, il a du corps. Le sujet pris dans la psychose n’est pas un être abstrait défini par un discours théorique ou par un ensemble de symptômes psychiatriques et le soin n’est pas un traitement qui gomme les symptômes, ni une écoute. « Il faut cesser de considérer le soin comme une pure bonne action. D’abord ça ne laisse pas de faire souffrir. Et puis, c’est un combat. Soigner une psychose, c’est faire la guerre », prévient l’auteur.

Paul-Claude Racamier | L’esprit des soins. Institution et psychoses. CNRS Éditions, 396 p., 26 €

Psychiatre et psychanalyste français, ou plus exactement psychiatre-psychanalyste, tant chez lui les deux fonctions sont indissociables, Paul-Claude Racamier (1924-1996) était un clinicien engagé dans le traitement psychanalytique des sujets souffrant de psychose. Membre de la Société psychanalytique de Paris (SPP), l’association psychanalytique historique, il participa aux travaux de l’ASM 13 (Association de santé mentale du 13e arrondissement de Paris) qui fut à l’origine, dans les années 1960, de la sectorisation psychiatrique, c’est-à-dire du découpage géographique en France de la prise en charge de la santé mentale. En 1967, il fonda « La Velotte », un établissement de soins proche de Besançon, dans la région qui le vit naître.

Le psychanalyste sans divan (Payot), livre que Racamier publia en 1970, eut un retentissement certain à une époque où pratique de la psychanalyse et usage du divan paraissaient indissociables. Dans un article de 1986, « Entre agonie psychique, déni psychotique et perversion narcissique », il introduit le concept de « perversion narcissique » aujourd’hui largement diffusé sans, en général, qu’on en connaisse l’auteur. En 1995, dans L’inceste et l’incestuel (réédition Dunod), Paul-Claude Racamier, rejoignant la notion de crypte élaborée par Nicolas Abraham et Maria Torok, montre que l’inceste réalisé dans une génération provoque des ravages dans les générations suivantes. La bibliographie complète de l’auteur publiée dans L’esprit des soins comprend plus de deux cents items, elle expose la diversité de ses intérêts et recherches, essentiellement au sujet de la psychothérapie des psychoses. Par exemple, la même année (1967), il pouvait intervenir sur la cure de sommeil dans la perspective psychothérapeutique, les troubles de la sexualité féminine et du sens maternel, ou l’Œdipe dans les psychoses. Une œuvre riche qu’il s’agit de ne pas oublier.

L’esprit des soins. Institution et psychoses, œuvre posthume, réunit l’ensemble des réflexions et des découvertes qu’a suscitées chez lui son travail au sein de La Velotte. Ces notes très complètes ont été mises en forme par Pascale de Sainte-Marie qui prit sa succession dans la direction de l’institution. Elle nous propose un texte dans lequel nous pouvons entendre la voix de Paul-Claude Racamier. Je dis « la voix » parce que l’auteur s’adresse à nous. « Rien ne m’a particulièrement poussé à m’occuper de patients psychiquement souffrants. […] Rien, vous dis-je, hormis l’essentiel : un intérêt passionné pour la vie de la psyché », énonce-t-il d’emblée.

« Illustrations de Des maladies mentales », Ambroise Tardieu (1838) © Gallica/BnF

Le ton est donné. C’est dans une certaine familiarité que l’auteur expose ses thèses aux lecteurs. C’est-à-dire que le sujet qui ouvre son livre doit participer à sa lecture et ne pas se contenter, « comme c’est malheureusement le cas pour beaucoup de patients psychotiques à qui l’on ne demande rien d’autre que d’être aveugles et passifs », de la subir comme un opéré sous anesthésie. Le style de l’auteur contribue à la compréhension de ce qu’il entend par esprit du soin. Bien entendu, il y a un préalable nécessaire : la connaissance de la psychanalyse. « Croyez-moi – sinon laissez tomber ce livre : un soin éloigné de la psychanalyse est comme un arbre sans racine ; ignorant du corps, il n’est que pilonnage et verbosité », déclare-t-il.

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C’est donc en évitant un certain verbiage sur la beauté de la folie comme les assertions d’apparence scientifique que Racamier fait découvrir la réalité du monde des sujets psychotiques. Nos propos leur parlent peu, mais ils entendent des actes ; ce n’est pas qu’ils pensent trop, ils ne pensent pas assez car, quand ils pensent, c’est avec douleur. « Ils ont peu d’images internes à qui parler : trop peu de portraits sont accrochés aux cimaises de leur demeure intérieure ; s’il y en a, ils sont retournés le ventre au mur, et leur dos reste plein de menaces. » Les mots sont clairs, les métaphores parlantes. Ils permettent d’entendre la dynamique du soin. « Si telle patiente a de graves trous dans son enveloppe psychique, je veux qu’elle s’entoure d’une enveloppe matérielle. Nous lui ferons adopter un poncho. Je veux que cet objet vienne à la fois d’elle, de ses parents et de nous. »

Le soin est un entourage, le lieu de soin nécessite un cadre, celui que Paul-Claude Racamier nous fait découvrir dans La Velotte, avant de nous entraîner dans la dynamique du soin. « Notre métaphore sera celle du courant ; notre image, celle d’une rivière », un cheminement, avec ses embûches que nous pouvons suivre dans cet ouvrage. Dans cette alliance pour mener un combat contre la psychose, il faut prendre garde à ne pas désigner des adversaires : les parents, la société, etc. ; ce fut effectivement l’écueil de l’antipsychiatrie. Racamier reconnaît l’utilité de la médecine psychiatrique, mais il faut éviter que la cure de sommeil ne se transforme en assommoir aveugle ; de même, « un médicament aimablement donné soulage ; distribué à poignée, il plombe ».

Le soin nécessite de l’esprit mais il est important d’avoir des références ; le psychiatre-psychanalyste Paul-Claude Racamier nous l’assure, car, nous dit-il, « comme il faut des ailes aux avions pour voler, il faut au soin des images porteuses ». À nous de monter dans son avion. Avec L’esprit des soins. Institution et psychoses, nous pouvons le suivre dans son voyage.