À côté du Fin chemin des anges, aux éditions Denoël, Simon Johannin publie un nouveau recueil poétique chez Allia, au titre évocateur de Demande à la brûlure, promesse de renouer avec le feu qui habitait les précédents. C’est ainsi que ce livre récapitule et concentre tous les enjeux de son œuvre.
Héraclite doit avoir dit, quelque part, quelque chose comme « tout est feu ». L’image flamboyante pour dire l’essence du monde s’applique tout aussi bien à un certain rapport sensoriel qu’il appartient à l’art, et en l’occurrence à la poésie, d’explorer. C’est ainsi que l’on se représentait, au moins depuis Suétone, Néron récitant l’Iliade en contemplant l’incendie de Rome. C’est ainsi également qu’Agrippa d’Aubigné s’identifiait au « larron Prométhée », se faisant voleur de feu bien avant Rimbaud. Simon Johannin vient s’inscrire dans cette lignée pyromane, et avec quel brio !
On ouvre son dernier recueil tout entier suspendu à l’hésitation entre la blessure et la clarté promises par le titre. La poésie, condamnée à errer au sein des mots du langage courant, est prise dans un jeu clair-obscur, où chaque poète imprime sa marque en faisant ressortir l’un ou l’autre versant de ce double aspect. C’est en ce sens qu’il y a suspens, hésitation, ce que Nietzsche voyait déjà dans la tragédie attique, née du dialogue d’Apollon et de Dionysos. Nous autres qui lisons de la poésie devons nous mouvoir entre les ombres, celle par exemple des Hymnes à la nuit de Novalis, et la clarté, à l’instar du Rimbaud des Illuminations. Chez Simon Johannin, cette dialectique est réinterprétée sur le mode mineur, qui refuse la grandiloquence tant thématique que formelle et s’inscrit même en deçà du lyrisme érotique jusqu’alors constitutif de ses recueils, depuis Nous sommes maintenant nos êtres chers jusqu’au Dialogue. Dans Demande à la brûlure, la poésie est souvent, et de manière tout à fait fine, juste esquissée.

C’est à peine si le premier poème est correct syntaxiquement et, dès la première page, le poète nous entraîne dans une dissolution du sujet et de la langue. Il joue des ruptures syntaxiques, du peu de texte sur la page, comme pour nous éblouir entre les éclats d’intensité poétique et le blanc du papier ! Pensons, à ce titre, avec Mallarmé que nous n’écrivons pas lumineusement sur l’obscurité, mais, bien au contraire, noir sur blanc. Il y a hésitation, donc, entre ce feu, divin, de l’Esprit, comme le disent les deux faces du livre : « demande à la brûlure et la brûlure t’aidera », et la brûlure qu’il occasionne, de même que l’univers symbolique du recueil hésite entre le Très-Haut et le monde païen :
J’ai fait six ou huit fois le tour de la Plaine
Là où les femmes chantent en cercle
Où ce qu’il reste d’une Lune vierge
Veille sur leur sang
La brûlure qui vient après le feu. Ici, le larcin de Prométhée a déjà eu lieu, tout autant que ses funestes conséquences : « Ne vois-tu pas que nous marchons sur les ampoules d’un ciel si triste de s’éteindre ». Le feu a eu lieu. La brûlure est aussi la cendre incandescente qu’il faut raviver. Hésitation, encore : « J’ai bu, j’ai écrit, j’ai fumé, ma gorge va mal quand je vais mieux ».
Quel rapport au monde que tout cela ? La brûlure comme extrême de la sensation, où le corps s’abolit au contact du feu. Mais la brûlure signale aussi un mode mineur de la poésie, loin de la grandiloquence du feu ou de l’incendie. Simon Johannin propose ainsi une poésie lumineuse, mais dont la lumière, frêle, vacille. Il est ainsi très émouvant de lire ces quasi-fragments, qui, en bien des endroits, s’apparentent à des haïkaï par leur brièveté et leur intensité, et rompent avec le maniérisme démonstratif du Fin chemin des anges. C’est qu’une profonde mésentente a toujours cours aujourd’hui quant à l’objet littéraire que l’on voudrait réduire à une signification. Dans l’un de ses plus beaux poèmes, « Le pain et le vin », Hölderlin écrivait : « Ô miracle ! En des hommes s’est accompli le dire avec rigueur ». Entendons bien le poète : le dire, pas le dit, c’est-à-dire l’acte lui-même d’énoncer et non le contenu de cette énonciation.
Avec Demande à la brûlure, Simon Johannin accomplit à son tour ce dire, précisément parce que sa poésie brève et avant tout sensorielle renonce à la signification (ce qui ne veut pas dire qu’il n’y ait pas un sens à construire). Sens, signification : encore une hésitation, où le lecteur se trouve suspendu et finalement, au sortir du recueil, foudroyé autant que perplexe face à la puissance d’un style. C’est peut-être peu. C’est déjà pas mal.