Photographe, Jean-Luc Bertini semble ne jamais achever un long voyage dans l’Amérique contemporaine. Il en rapporte depuis plusieurs décennies une multitude d’images. Mais ce qu’elles racontent n’est pas simplement un ailleurs, c’est aussi la façon dont il a acquis un regard.
Mon premier voyage américain s’est déroulé à l’Ouest. C’était il y a quelque trente ans.
New York ne m’intéressait guère, ou plutôt la ville m’intimidait, plus encore même : elle me semblait sombre, colossale, docte, en un mot inaccessible au jeune homme mal dégrossi que j’étais. Peut-être aussi parce que j’avais grandi dans une banlieue agreste, loin de la grande ville, laquelle conservait à mes yeux un aspect intimidant ; peut-être aussi parce que je ne connaissais de la langue anglaise que les rudiments ; et encore, rudiments me paraît vaguement exagéré. Enfin, ma culture américaine, maçonnée de lectures de Lucky Luke et de westerns, me poussait précocement à préférer l’Ouest et ses grands espaces à la verticalité écrasante de New York. Je rêvais de ciels et de territoires cartographiés dans leur solitude plutôt que d’un cadastre urbain saturé de signes. Je me souviens que le papier peint de ma chambre était recouvert de cactus et de fusils Winchester. C’était l’Ouest déjà, et je n’en savais rien.
Lors de ce premier voyage, bien qu’équipé d’un boîtier et d’un jeu d’optiques – je crois même qu’en parfait amateur j’avais emporté un trépied –, je n’étais pas encore photographe. Ce métier n’était pas même un désir ; j’étais comme tout le monde, je voulais revenir de ce pays avec des souvenirs imprimés sur papier glacé.
Dans les années qui suivirent, je le suis devenu, photographe, et j’ai appris à mieux regarder l’Amérique, comme le reste je crois. J’ai également retenu que l’ouest américain ne se résumait pas aux grands espaces, il y avait également la fondation de villes excessives et tentaculaires. Et si je ne redoute plus New York et sa verticalité aujourd’hui, j’ai en revanche appris à me défier de Los Angeles et de son horizontalité hallucinée !
Les images qui suivent proviennent de plusieurs voyages réalisés dans l’ouest américain durant plus d’une décennie, et sont pour l’essentiel extraites de deux livres, Amérique. Des écrivains en liberté (texte d’Alexandre Thiltges), publié aux éditions Albin Michel en 2016, et Américaines Solitudes (textes de Gilles Mora et de Richard Ford), paru aux éditions Actes Sud en 2020.





















Dernier ouvrage paru : Amérique. Des écrivains en majesté, Albin Michel, 2024.