Dans l’Oural, lorsque les missiles balistiques intercontinentaux soviétiques RT-2PM Topol ainsi que leurs groupes électrogènes tombent en panne dans leurs silos souterrains, Moscou s’inquiète. D’autant plus que les États-Unis n’y sont pour rien. Alors ? Seul se détecte dans le ciel un curieux point orange, à une altitude vertigineuse… Le dernier roman d’Éric Faye, Le cinquième diamant, a un statut ambigu qui interpelle. Ce n’est pas un roman de science-fiction traditionnel de pure imagination, car l’auteur s’appuie sur une documentation officielle consultable qui pose la question d’une possible présence non humaine dans l’univers.
Le livre débute comme un roman d’espionnage avec la mort d’un oligarque, Sergueï Oparine, empoisonné dans un hôtel de luxe des Alpes suisses. À ceci près que le verre de vin fatal ne lui était pas destiné. Il était accompagné par une « escort girl », Ania Sokolova, qui a l’habitude de laisser traîner son téléphone, en particulier lors de réunion rassemblant hauts militaires russes et membres du FSB (ex KGB) et autre GRU… Toutefois, on quitte vite ce cadre pour aborder un thème beaucoup plus ambitieux. Le point orange apparu dans le ciel ne correspond à rien de connu : vitesse effarante, vol hyperbolique – c’est-à-dire en V –, accélération non gravitationnelle, vol stationnaire immédiat… Y a-t-il un rapport entre la neutralisation des missiles et ce qui pourrait être considéré comme un engin interstellaire ?
En Russie, le soldat de garde est incarcéré pour pédophilie, les militaires qui se trouvaient dans la cellule souterraine abritant les missiles sont relevés pour faute grave. On s’inquiète de l’avance possible des États-Unis dans l’effort de guerre. Ce qui fait dire à un conseiller à la sécurité nationale américaine : « Ah ! S’ils savaient comme nous en manquons, des armes secrètes, ils n’hésiteraient plus à avancer leurs pions. […]. Au fond, c’est peut-être ça, la force de dissuasion la plus efficace, autant que le nucléaire : l’ignorance du camp d’en face. C’est bien moins coûteux et mille fois moins dangereux que l’atome ».
Aux États-Unis, un couple d’universitaires se penche sur le phénomène. Mike Cardona est spécialiste des astéroïdes, Janet Tillerson dirige le département d’astronomie de Yale et étudie l’astrobiologie, c’est-à-dire l’étude des conditions nécessaires à l’apparition des formes de vie en dehors de la terre. Ils pensent, tous deux, que le point orange est un vaisseau spatial qu’ils baptisent Ouranos. C’est le « cinquième diamant » du titre car, pour le quatrième anniversaire de leur mariage, Mike a offert à son épouse une bague ornée du même nombre de diamants. Il ne se doute pas que ce « cinquième diamant », dont il procure une photo à Janet, va bouleverser leur existence.

Ces apparitions intriguent. Éric Faye rappelle l’existence, dans la réalité, de « l’Institut 22 », qui était un organisme dépendant du ministère soviétique de la Défense chargé d’enquêter sur les signalements de phénomènes aériens non identifiés ainsi que celle du « All-Domain Anomaly Resolution Office », (Bureau de Résolution des Anomalies), agence gouvernementale américaine créée en 2022 par le Pentagone. Cependant, l’auteur ne prend pas parti et se contente de mentionner divers phénomènes non expliqués mais bien sourcés.
Il souligne aussi l’âpreté de mœurs universitaires non dénuées de jalousie, de mauvaise foi et de trahisons. Janet Tillerson se voit moquée et soupçonnée, avant tout, de chercher la célébrité lorsqu’elle écrit des articles sur Ouranos. Le fait qu’elle soit femme et noire aggrave peut-être la situation. Lors d’un débat, Janet rappelle que l’Univers abrite « deux cents milliards de Galaxies, dont chacune comptait une centaine de milliards d’étoiles, autour desquelles tournaient des milliards de planètes ». L’Univers est-il donc irrémédiablement désert ? Éric Faye, en exergue de son ouvrage, a placé une phrase qu’Épicure écrivait déjà à Hérodote, son disciple : « Ce n’est pas seulement le nombre des atomes, c’est celui des mondes qui est infini dans l’Univers. Il y a un nombre infini de mondes semblables aux nôtres et un nombre infini de mondes différents ».
Janet Tillerson n’est pas confrontée seulement aux objections scientifiques qui soutiennent qu’Ouranos serait, au mieux une comète, au pire « une hallucination », comme jadis apparaissait la Vierge Marie « aux petits bergers de Fatima », symptôme des hantises du temps. Elle fait face aussi à un « philosophe » qui s’exclame : « Par vos travaux, vous donnez l’impression de rechercher les forces du mal, des forces diaboliques cachées dans l’Univers. Seriez-vous une alliée du malin ? » Pour certains religieux, imaginer que la Terre ne soit pas unique et façonnée par un Dieu auquel ils croient est insupportable. Dans le cours de Janet, un étudiant hurle : « L’homme est la seule créature intelligente de Dieu qui S’est consacré entièrement à lui et à la Terre ». La scientifique retrouve sa maison cambriolée, et son ordinateur, qui contient ses travaux, bloqué définitivement si elle ne renie pas ses affirmations.
Scandalisée, et voulant faire sortir l’exobiologie de son « ghetto », elle décide alors de faire une grève de la faim, au pied de la Maison Blanche, avec un slogan : « Nous avons le droit de savoir ! La vie existe partout dans l’univers ». On pourrait penser que les choses vont mal tourner avec les autorités lorsque le président des États-Unis demande à la recevoir pour lui faire quelques confidences. Elles sont stupéfiantes. Toutefois, surgit le soupçon que le président ne sait peut-être pas tout et qu’il n’est qu’« un politique élu par la plèbe ». Il existerait un statut « above top secret » que détiendrait « un État profond ». On reconnaît là, sans nul doute, l’influence d’Ismaïl Kadaré dont Éric Faye est un spécialiste. Pour l’auteur albanais, en effet, le pouvoir apparent n’était jamais le pouvoir ultime.
Dans l’ouvrage, Ouranos est l’occasion de s’interroger sur l’Univers. Une autre hypothèse, peu rassurante, verrait dans cet engin une épave, « une ruine plus ancienne qu’une pyramide d’Égypte ». Les astronomes se considèrent parfois comme des « archéologues » car « ce que nous voyons du cosmos n’est qu’une série d’images du passé ». Janet présume même que le « ciel n’est peut-être qu’un cimetière de civilisations qui se sont autodétruites ». Et ajoute : « Le ciel serait une métaphore de ce qui nous attend ? » Ainsi, la Terre serait peut-être le dernier îlot habité par des êtres vivants, « après extinction de toutes les autres civilisations ».
Dans un style fluide, qui sait faire discrètement preuve de pédagogie, Éric Faye pose quelques questions fondamentales qui ne sont pas près d’être résolues mais qui peuvent inciter le Terrien, face à l’Univers, à sortir du quotidien, et à éprouver quelques doutes sur les certitudes et autres croyances. Il est vrai que notre condition humaine ne manque pas d’engendrer vertige et angoisse, et qu’il convient de se rassurer, parfois à tout prix. L’homme peut-il assumer une solitude radicale dans un univers qui le dépasse, appréhender l’existence d’extra-terrestres non humains dans des mondes différents du nôtre, craindre une surveillance peut-être pas si bienveillante… ou considérer que les distances incommensurables rendent irrémédiablement impossible toute rencontre ? Cette dernière hypothèse est peut-être finalement rassurante car, ironise Mike, s’adressant à sa femme : « Ça te procurerait de la joie de découvrir une planète surpeuplée de Trump et de Poutine ? Tu cherches des traces de vie intelligente, mais tu perdrais moins de temps à repérer des traces de conneries dans l’Univers. »