Au cours de déambulations parisiennes, guidées par des velléités occidentales, l’auteur songe aux Européens d’autrefois – eux aussi poussés vers l’Ouest – ainsi qu’aux Américains qui firent le chemin inverse.
Lorsque Erik Le Rouge monta dans son embarcation, avec son équipage, c’est parce qu’il avait été banni de la terre d’Islande.
Un meurtre mérite juste condamnation.
Il traversa la mer vers l’ouest pour atteindre les côtes du Groenland où il fit colonie.
Son fils, Leif Erikson, dit Leif l’Heureux, puis Thorfinn Karlsefni, s’éloignèrent à leur tour des côtes du Groenland pour explorer de nouvelles terres vierges.
Cap vers la nuit, et l’ouest.
La saga relate leurs expéditions.
La terre est un espace infini et l’homme un être vivant minuscule soumis aux forces de sa destinée dans la cosmogonie.
Il est alors question de la découverte du Vinland, qui n’est rien d’autre que le continent américain.
Les Islandais, en ces temps de conversion, étaient de fins navigateurs curieux du monde.
Ils écrivaient plus de livres que nul autre peuple, à l’époque.
Les frontières étaient des lignes mal tracées pour ces hommes fiers et sans papiers.
Chaque jour, je franchis le seuil de ma porte.
Mon horizon est celui de la ville univers, Paris, ville rêvée au dix-neuvième siècle par des visionnaires, des hommes d’affaires et des poètes.
Elle est le centre de ma rose des vents, entre nadir et zénith.
Chaque jour, je marche sur le planisphère de ses rues, vers l’West, pour revenir à mon point de départ, le soir, exténué par tant de cabotage et de bifurcations.
Je connais mes 7 collines et la Butte est une terre inexpugnable, malgré les hordes.
Il y a toujours une heure où le silence éteint la rumeur du jour.
Les piafs se taisent.
C’est l’heure du ciel cuivré, occidentale.
Souvent j’ai fait mes bagages pour aller voir ailleurs,
Un autre part où l’air, dit-on, serait momentanément plus pur ;
La nouveauté contre l’habitude fait parfois office de pureté.

Sur place, je ne tiens pas en place.
Sortant de mon auberge, comme un automate, je repars vers l’ouest.
Mes pas décuplent l’énergie absorbée directement à même les pavés.
L’ouest, à l’heure où le voile de la nuit recouvre les rues et palais,
Est l’horizon de la découverte ;
Cap vers l’inconnu et la rencontre.
Jim Morrison a fait le chemin inverse.
Il a pris l’avion pour la rue Beautreillis,
Dans le Marais, quartier de Dead End ;
À gorge déployée,
Il rit sur les photos prises à la veille de sa mort.
« Mr Mojo risin‘ »
A-t-il oublié son dernier enregistrement ?
« Make him understand
The world on you depends
Our life will never end »
C’est la dernière bande.
Il faudrait remonter le temps
Et l’espace vers le Far West.
Butch Cassidy jouait avec la gâchette de son colt
Avant de lancer son dernier assaut qu’il savait désespéré ;
L’armée bolivienne les attendait, lui et le Sundance Kid, mais ils n’en avaient cure.
« Raindrops keep falling on my head »
Quel panache au bout du chemin !
Aller à la rencontre de son destin,
Comme Mandrin chantonnant sa complainte
« Vous m’entendez »
Au pied du gibet.
J’ai beaucoup divagué.
L’West était-il, sans le savoir, mon pôle alors que j’étais dans le noir ?
Tous mes chemins m’éloignaient de Rome
Et j’ai blasphémé sans connaître ma Jérusalem céleste.
« Heroin, she is my life, she is my queen »
Si la terre était plate, les choses seraient tellement plus simples ;
Partir vers l’ouest,
Naviguer vers l’éternelle nouveauté,
Et le monde aurait un sens.
La panique gouverne dans un monde apoplectique.
Le Groenland figure parmi les derniers grands espaces sauvages.
Est-ce trop demander que de le laisser en paix ?
Pour le silence, que seuls les battements du cœur troublent,
Pour le froid, qui transperce la peau et les os,
Pour le non-sens, qui contrarie la logique du commerce,
Pour la liberté, qui s’oppose à la nécessité et la morale.
« And I thought that I’d found the light
To guide me through my nights and all this darkness »
Balade de David Crosby avant la grande cavale.
Un jour, le soleil se couchait sur la lande
Baignée d’une lumière écarlate,
Au large des côtes, tel un Titanic fendant les flots grondants
Après avoir rencontré le fatal iceberg.
La vie avait eu raison d’un amour consumé trop vite
Dans la frénésie et la profusion.
Les plantes grasses rougeoyaient sous les derniers feux
Et je marchais, ivre de déraison, vers l’West encore.
« Et la mer efface sur le sable
Les pas des amants désunis »
L’air vif fouettait mon visage,
Balayant mes tourments.
Le temps suspendit les horloges
Et je retrouvai mon cap.
Il paraît que tout a commencé dans les années 70,
À la fois le déclin et la fascination.
Interdire d’interdire est désormais interdit.
« Knock knock knockin’ on Heaven’s door »
Toutes les grandes voix se mélangent
Sur fond de guitare électrique.
« The west is the best
Get here and we’ll do the rest »
Marcher vers l’ouest comme dans un jour sans fin,
Vers la nuit qui se couche, dans la circularité, vers l’infinitude !
Ouvrage à paraître : Mystères et fulgurances de la marche, Éditions de l’Asymétrie.